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    Au bout du rouleau, ce type, un peintre sans aucun doute, avait dessiné des sortes de calligrammes. Une centaine : impression façon encrée des signatures de ses célébrités préférées... James Dean côtoyait Cheb Hasni qui flirtait avec Lucille Desmoulin et Robert Desnos. Exception notable de cette liste, Raymond Queneau, plus serein fermait la boucle de l'exercice. Cela ne manquait pas de style ce rouleau peint...

    Pourtant, c'était un bête rouleau de papier Lotus, du papier rose, moelleux, bref du papier cul, devenu plutôt culte du fait de la notoriété des griffes...

    A bout du rouleau, le type remballa tout le papier bien soigneusement puis le rangea dans un placard...

    Ensuite, il posa une main sur sa tête, façon Penseur de Rodin, puis plus franchement il prit son visage entre ses mains. Après avoir expiré l'habituel souffle de lassitude (habituel en ce genre de situation), il mima du doigt un pistolet imaginaire qu'il posa contre sa tempe.

    Il émit la seule variété d'onomatopée que l'on prononce en ce genre de situation : Kraboum ! Kabosch !

    Puis s'affala contre le sol, mortellement blessé....

    Blessé par la vie dont il ne comprenait plus les tenants et les aboutissants. Il songea à Pénélope et son stratagème de tricoteuse. La vérité, c'est qu'il ne savait plus dans quel sens rembobiner la pelote de sa vie, le sens à lui donner, la marge d'erreur qui bornait ses arrières.

    Il avait dépensé tant et tant d'argent en pinceaux, crin de cheval, nitrate d'argent, PQ, encre de chine, plumes, aquarelles et même pyrograveur, qu'il ne lui restait plus un propre kopek en poche.

    Avant, il avait été un peintre mondain, un de ces mercenaires du cocktail paluches et des ronds de jambes aux ronds-de-cuir, qui se persuade toujours que le panache à un prix. Du panache, il n'en manquait guère avec sa muse trop belle et trop chère pour lui. On lui avait bien dit qu'une Damoiselle convoitée par des loups plus puissants et plus méchants était une entreprise trop ardue et trop aléatoire pour lui.... mais il aimait les défis.

    Il défia jusqu'à se montrer le plus impayable des princes charmant. La bourse se délita, son métier d'artiste eut du plomb dans l'aile... Le bât blessait, le caractère changeait, les angoisses rejaillirent... Rien n'y fit, il voulait tenir coûte que coûte, aller jusqu'au bout de son amour (eh oui, parce qu'en prime, il l'aimait)... Généralement, on appelle cela une fuite en avant.

    Alors il eut l'idée subtile de mettre à profit son carnet d'adresse pour éditer un coup de génie. Il se tourna d'abord vers les révolutionnaires. Ces gens ont l'habitude d'être à la fois sensibles à la nouveauté et avides de renommée. Par un procédé ingénieux, il soutira sur une feuille de buvard baveuse, la signature de Joseph Danton quelques minutes avant que la copine guillot ne lui ratiboise le ciboulot. L'osseux Sandor Petôfi lui fit grâce d'une patte de mouche, la seconde précédant une grimace criblée à quelques mètres d'une barricade hongroise. Quant à Léon Trotsky, un piolet planté dans le bulbe, il eut la jugeote de lui demander en échange de lire « La révolution permanente ».
    Il promit (sans s'en acquitter) et comme à chaque fois il reproduisit ultérieurement les signatures sur son papier toilette. Son procédé artistique recueillit d'abord une attention polie. Puis, les commandes s'accentuèrent quand son éventail de personnalités s'étoffa.

    Il fut l'artisan de coups de maître : Bayard, L'Archevêque de Canterburry, Gilles de Rais, Cadoudal, Ney, Jaurès, Raspoutine, Rommel, tous signèrent quelques secondes avant leur historique trépas...

    Puis il eut la faveur de la noblesse européenne... Emargement en forme de coup double un beau matin ensoleillé dans une rue de Paris. Agonisant, Henri IV délirait sur quelques fesses de la veille qui selon lui le valaient cent fois une messe tandis que l'indigné Ravaillac, lynché par la foule, signa une sorte de stigmate d'une main écartelée par une rancœur bien peu catholique... A noter pour la gloire qu'il fut nanti d'un autre doublon bien que dans le camp du tiers-état avec Marat et Charlotte Corday.

    Quelques centaine d'années plus tard, sous l'implacable soleil du Natal, il pu noter que la parenté de Louis-Napoléon, le Prince Loulou pour les intimes, ne manquait pas de tripes. Le rejeton gratifia son buvard d'un contreseing qui inspirait un impérieux respect si l‘on considérait qu'une lance Zoulou lui vidait le bas-ventre.

    Il est utile d'expliquer désormais que notre peintre ce faisait un devoir de requérir exclusivement les signatures des martyrs.

    Si les Antiques ganaches, Néron, Socrate, Caligula, généralement suicidaires, prenait le temps de signer avant de se forcer à avaler quelques secrets poisons, les XXe et XXIe siècles furent une manne à la fois généreuse et brouillonne. Notre homme hésita à garder la signature de Staline dont il ne savait s'il était mort d'une cirrhose ou d'un empoisonnement. Monter en voiture avec Albert Camus lui eut causé plus de tracas que de renommée. Idem pour la dernière et triomphale tournée de Benazir Butho.

    Mais c'est dans le milieu show-biz qu'il connu ses plus amères déconvenues. Il arracha tout de même un sourire enfantin et résignée à Shirley Temple qui se signa diaboliquement à défaut de signer. Il recueillit les dernières pensées obscures de Jim Morrison avant que ce dernier ne se noie dans un bain de whisky. Quant à John Lennon, myope comme une taupe, il ne portait pas ses légendaires lunettes le jour fatal, ce qui empêcha définitivement notre peintre de saler le buvard du Sergent Pepper, là ou Lennon avait écrit Lemon, ce qui avouons-le ne manquait pas de zeste.

    Mais il parvint tout de même à obtenir une signature désenchantée, d'aucun aurait pu dire acide de Patrice Lumumba tandis qu'un commando de barbouzes franco-belges dissolvaient, dans un concert de rires gras et sulfureux, sa pensée lumineuse sous les néons blafards d'une case zaïroise. Il gagna la confiance de Mata-Hari, ce qui n'était pas une mince affaire, à l'heure où un peloton exécutait des ordres la concernant. Il apprécia l'habilité graphique de Federico Garcia Lorca avant que ses bourreaux n'assassinent la liberté d'écrire son nom. Il fut le seul à connaître la véritable mort d'Andrès Nin et diffusa ensuite sa signature à travers tous les pays frères. Gabriel Péri lui remit une lettre à ses parents et une estampille qui semblait dire « je suis trop jeune pour mourir ». Des rumeurs prétendent même que les doigts raidis d'un célèbre Commandant argentin, allongé sur une civière de fortune dans une posture christique, s'agitèrent par delà la mort pour inscrire un surnom : trois lettres chuintantes comme une déconfiture chèrement payée.

    Par la suite, il avait obtenu bien plus qu'un succès d'estime, ses rouleaux de toilettes dédicacés, vendus à la découpe, s'étaient arrachés comme des petits pains. On l'exposa dans les meilleures galeries. Il eut les honneurs du Moma, du Prado, du Centre Georges Pompidou... La Fiac même lui réserva un stand de trente mètres de long où il pu à loisir exposer au printemps, ses rouleaux dans toute l'étendue de leur saveur.

    Sa muse l'aima tant et tant en retour que son métier s'en ressenti. Comblé d'amour et d'honneur, il fut gagné par la facilité. La critique lui reprocha des choix de mauvais goûts : quelles étrange idée que se transformer en reporter de guerre pour quémander la patte criminelle de Moussa Al Zarkaoui ? Pourquoi cette passion morbide pour les terroristes, les ratés, les suicidaires ? Et était-il bien nécessaire de mêler la signature philosophique de Gilles Deleuze (semblable à un test de Rorsach) à la croix triviale que Joseph Gobbels lui envoya en guise d'épitaphe ?

    Grandeur et décadence. Du jour au lendemain, la mode passa et il se retrouva à entasser ces rouleaux de papier dans des armoires lassées. La moisissure gagnait sur la mémoire des célébrités. L'illustre ne faisait plus recette. Son bel amour le dédaignait allant même jusqu'à juger infantile sa passion scabreuse du macabre.

    Il chût. Longtemps. Dire qu'il n'avait même pas laissé son nom à la postérité. Rien au final qui ne fut de sa main propre.

    A l'évocation de son destin digne du Barry Lindon de Kubrick, notre peintre s'était relevé. Une idée lui traversa l'esprit. Il n'y a, songea-t-il que deux sentiments possibles face à l'absurdité de l'existence : la gravité ou la frivolité.

    La deuxième option lui semblait préférable. Il avait toujours ressenti au fond de lui-même qu'il n'était pas né pour mourir comme une vieille ganache aigrie. D'ailleurs, il ne souhaitait pas vraiment mourir. Il avait recherché la gloire et, au bout du rouleau, il l'avait rencontré à maintes reprises. Presque toujours, la gloire se terminait dans une mare de sang, avec les larmes et les cris du reste de l'humanité pour se donner bonne conscience... justifier le martyr. La gloire au fond n'était que gloriole, elle ne valait pas un pet de mouche. En conclusion, la gloire, il ne restait qu'à se torcher avec.

    Cette pensée lui arracha un sourire, le premier depuis longtemps : car pour se torcher avec la gloire, pas de doutes, il lui restait du papier en quantité suffisante. Et puis, se dit-il, il y a toujours une idée de mer bleue turquoise en réserve quant on a le moral en berne... Et des femmes dans l'eau, une pirogue, un ciel de plomb....

    Photo : Le Coati


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  • Fin de nuit au Casablanca ou conversation mondaine à Kilimani

    Portier Luhia :
    - Oh rafiki, tu te souviens de ce Mizungu qui nous racontait des histoires qui nous donnaient l'espoir ? Par ses mots et ses photos il me peignait un avenir...
    Videur Luo :
    - Tu parles de petit toubab ? L'homme qui n'a jamais su séparer son orgueil intime du paraître...

    Portier Luhia :
    - Oui lui... Mais laisses-moi te compter l'envers de sa skizophrénie, avant qu'il ne soit terriblement fou... quand il lui restait une once d'humanité : tu sais, au fond, il n'a jamais vraiment su qui il était. Il lui arrivait de nous donner des leçons, tu te souviens le Luo ? Il nous engageait à aimer nos abîmes de perplexité, notre soif d'absolu, notre paix intime et notre païs en jachère par delà notre désir de revanche. »

    Videur Luo :
    - Il n'a jamais pensé qu'à lui et aux marrons...

    Portier Luhia
    - Ce n'est pas si simple et c'était des marrons sans feu... Une fois le départ de sa famille de Tananarive, Félix, son mentor, le cuisinier, est mort en prison d'une gangrène, dénoncé par les éternels b.o.f du petit capital en expatriation... Ensuite, il est devenu terriblement secret, une tombe, une épitaphe. Et puis, il a dû faire le reste du chemin tout seul.
    Maintenant, je sais qu'il était le fruit d'un alambic et d'une médicamentation hasardeuse... Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond dans son bonheur. Sans doute une part de culpabilité existentialiste : pourquoi les vraies épreuves m'ont été épargnées... La cuillère en or dans le fion et tout le tralala... En ce sens, par ses manques, il a défendu notre combat.

    Videur Luo
    - Mais il méprisait nos frères, tu te souviens comment il parlait aux flicards et aux putains ?

    Portier Luhia
    - Les chiens du pouvoir et ses meilleures indicatrices... Il a raison, ce sont les mêmes dans tous les pays. L'argent et le cancan leur tiennent lieu de politique. La facilité aussi... Plutôt que la voie tracée à la machette, ils aiment le chemin de terre mais sans les embuches qui le traversent.

    Videur Luo :
    - Qui n'a jamais eu faim leur jette la première pierre. Ta blanchette n'a jamais eu faim, il n'était pas si gros mais il était repu.

    Portier Luhia :
    - J'ai faim moi aussi mais, je veux cesser de croire que tous nos maux viennent seulement des méchants blancs. Nos politicards ont suffisamment affiché ce chiffon pour masquer leur propre insuffisance. Ils sont gras et veules, cela démontre à l'avance qu'ils sont repus de nos souffrances... A-t-on jamais vu un Turkana, un Nuer ou un Samburu friser les 100 kilos ?

    Videur Luo :
    - Peu importe, lui je ne l'aimais pas...

    Portier Luhia :
    - Lui non plus ne s'aimait pas, si ça peut te rassurer... Et c'est bien ce qui le sauve encore, dans ma mémoire et dans mon cœur. Je sais au fond qu'il nous aimait comme humains avant de nous étiqueter comme Africains.

    Videur Luo :
    - Quel besoin d'avoir des Blancs pour écrire notre histoire ? Et Lumumba, Sankara, Carvey, Cabral, Nyerere, Nkrumah, ne nous suffisent-ils pas pour nous élever dans notre dignité ?

    Portier Luhia :
    - Paix à leur âme mais ils sont morts... ils ont servi une cause, parfois un pays mais ils ne nous sont plus d'aucune utilité maintenant. Regarde, les églises - de renaissance en bornes à gain - elles sont ici plus florissantes que les syndicats. On doit bien admettre que nos grands leaders ont échoué... Le temps des grandes causes est devenu celui des prestidigitateurs et des marchands d'illusion. Pourtant, il y en eu des tas, des sages et des poètes qui ont chanté l'Afrique. Les frères Toure Kunda murmuraient : l'Afrique, c'est un continent sauvage et beau, une terre en marge de l'humanité. Et songe à ce que racontait ce vieux fou, un Mze de l'Ouest, le vénérable Hamadou Hampaté Ba : en Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle... Mais, tu sais ce que je pense moi : l'Afrique c'est toi-même ! Alors commençons par nous forger un destin individuel, une citoyenneté unique avant de nous rêver les apôtres d'un nouvel africanisme. Il nous faudra du temps pour cela et pour paraphraser Ismaël Lo « quelques barbares d'Occident » pour alliés.

    Videur Luo :
    - Tes alliés sont ambigus. Ils prônent notre émancipation en même temps qu'ils contribuent à la richesse de leur nation, à la construction d'une histoire écrite avec leurs doigts tâchés de sang... A la mémoire de leur étendard. Ils sont consciemment ou non des conservateurs.

    Portier Luhia :
    - Les semences ne sont pas intrinsèquement toutes corrompues. Et je me soucie peu de la couleur de la graine, pourvu que l'arbre qui en germera m'apporte un peu d'ombre et de réconfort.

     Photo : Le Coati

     


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    C'est une course contre la montre. 38 mn de batterie sur le labtop pour parvenir à parachever ce texte. On ne dira rien du reste de la journée de peur d'avoir à perdre du temps.

    Shake shake shake your hands !

    Dis-moi, oui, c'est vrai pourquoi est-ce qu'elles tremblent ainsi sur le clavier tes petites menottes ?

    A te reluquer, un bonze y perdrait sa tranquillité... Tu trembles mon garçon, le manques ou tes lectures noctambule, nyctalopes, nyctamères. Des putes pour Gloria ou Querelle de Brest. Vollman versus Genêt.

    Manquerait la touche de Bukowski. On n'aime jamais que ce qui nous ressemble...

    Pourtant, ce matin, j'ai relu pour la dixième fois ce court passage d'un livre où quelqu'un décide de nommer une étoile. Un concept lointain, un petit bout de rien, l'immensité de l'univers, le côté inutile de l'entreprise, bref ce qui fonde l'humanité... Et depuis, j'ai le Petit Prince qui me remonte dans les entrailles.

    Et puis l'amour de ces mères pour leurs filles fragiles. Jessie James et Clau... La fille fleur et la fille nénuphar.

    Je pense d'abord à Nina que je connais mieux. Sa bouille de clown triste, ses facéties, la tendresse immense qui me parcourt l'échine quand je la regarde. Il n'y a pas que son courage qui me sidère, je suis fasciné par sa joie de vivre, j'en oublie toujours la maladie. La petite fille sérieuse, la déjà-femme enjouée, je ne veux retenir que cela... Et puis ensuite, je songe au beau visage de cette très grande enfant, un corps de femme, qui aura d'autres plaisirs, d'autres désirs que ceux des petites marquises convenues que l'on retrouve à arpenter les rues de Neuilly ou Versailles.

    L'altérité est ce qui fonde notre humanité, je l'ai déjà écrit ailleurs.

    Je repense à quelqu'un que je croise souvent et le sang qui accompagne son enfance... Je ne parle pas du sang figuré qui s'inscrit dans ma mémoire de sale mioche gâté pourrie. Je parle de choses tangibles. De ce que l'on est capable de faire aux filles dans certaines régions du monde.

    Nos cerveaux mutilés par d'insanes controverses - l'époque mérite bien ses chantres éculés - ont oublié le vrai sens de la douleur, de la mort, de la mutilation... Savoir quelqu'un heureux malgré un environnement initial particulièrement difficile me rends perplexe. De la perplexité naît une sorte de jalousie qui accouche au final d'une petite connerie dont je me sors par une pirouette. Cacahouète évidemment...

    38 mn chrono... Songer à d'autres destins, des jolies vies, pas plus tristes que la miennes mais sans doute plus difficiles du fait de contingences originelles, cela m'a fait du bien.

    Mes mains, mes mains ont arrêté de trembler... et mon cerveau lentement est entré en fonction sommeil.

     

    Photo : Le Coati


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