• Elle vient d'où cette terreur...

    ... Cette angoisse terrible de la mort, la peur de dormir la lumière éteinte ? Pourquoi, petit, est-ce que le frangin se tapait la tête avant de s'endormir ?

    On n'a jamais assez parlé de notre mère... C'est un truc qu'il faut maintenant combler... Elle a passé son enfance puis son adolescence, la tête planquée sous l'oreiller à craindre les nuits bleues d'Alger : les attentats de l'OAS ou du FLN qui déchiraient les ténèbres algéroises d'une lumière blafarde... Et puis, elle avait ce père militaire, cet éternel absent, pour lequel elle se rongeait les sangs.

    L'angoisse se transmet ensuite d'une génération à l'autre, sur un autre théâtre d'opération à Madagascar ou en Angola... Elle a légué les horreurs vécues, elle s'est déchargée du fardeau. Elle me réveillait au milieu de ces nuits déjà passablement cauchemardesques pour m'instiller le poison du doute, l'effroi et l'inquiétude réunies dans deux prunelles de femme. Elle avait substitué au père la figure du mari : "qu'est-ce qui se passe ? Ton père n'est pas encore rentré... Y a des routag en ville, ils tabassent des automobilistes. Ce n'est pas normal"....

    Mais si tout était normal, on avait juste un père farceur... Un épouvantable travailleur...

    Et puis il y a les autres, les peurs enfouies, celles qu'on traîne comme Sisyphe tire sa pierre...

    Au Portugal, ce crâne préhistorique plaqué sous un panneau de verre dont on vous persuade que c'est celui d'un enfant mort il y a trente mille ans... Trente mille ans, pensez si c'est impossible un enfant de trente mille ans. N'empêche un premier doute s'est immiscé dans la carcasse.

    On a quatre ans et c'est la première fois qu'on entend ce drôle de mot : mort.... Et puis, en Tunisie, sous les nuits étoilées, il y a le père qui après vous avoir raconté une belle histoire revient avec le parrain hilare à la faveur des éthylismes avancés pour vous rejouer le coup du bouc, version naïve mais bien interprétée des monstres qui peuplent alors l'imaginaire des enfants. C'est con les pères, parfois.

    Et encore, ce réveil atroce dans la maison d'Ambatobe avec ce parasite qui vous remonte le long du corps... Cet alien immonde qu'on ne sait nommer et qui ressort par le nez. J'ai sept ans, j'ai déjà l'impression d'avoir été dévoré par les vers.

    Ensuite, viennent se greffer des centaines de petites autres peurs, des contingentes, des peurs salopes, des peurs traîtresses... La peur de vivre, tout bonnement.

    Voilà comment un jour on s'embarque dans un avion et on va défier le chaos là où il se trouve : en Argentine ou au Liban. Un résidu d'affiches lacérées, un immeuble éventré par une bombe, un barrage de militaire, les armes à la ceintures, les regards anguleux pareils à des poignards. On photographie tout.

    Et puis, quand vient le soir, on s'endort enfin en éteignant la lumière...

    Photo : Le Coati

     


  • Commentaires

    1
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    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:18
    Trés beau texte..
    ..une fois de plus. (excuses moi d'avoir commenté avant toi :) )
    2
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:18
    Poltron
    C'est pas tant la peur du tonnerre / Avec son grand zigzag / C'est pas tant la peur des années / Avec leur grand zodiaque / C'est pas tant la peur de l'enfer / Avec son grand tic-tac... Je le mettrai en post, intégral, pour toi. Superbe texte, une fois de plus, très très réussi. (Si tu pouvais juste écrire peuples "peuplent", ce serait mieux :))
    3
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:19
    Chach
    On s'est passé le mot, Fil et moi, faut croire !
    4
    Fil
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:19
    Les grands..
    ..esprits se rencontrent.
    5
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:21
    Allez, passe-moi
    le baume ! Mais où est notre insatiable promeneur ?
    6
    Fil
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:24
    Oui, je suis...
    ..inquiet. IL ne s'est pas encore auto-commenté
    7
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:26
    Je vais corriger
    ce qui doit l'être... Merci pour vos deux remarques...
    8
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:26
    ça fait chaud
    au coeur... Je corrige
    9
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:28
    Attends, Chach !
    Puisqu'on en est aux détails orthographiques : il manque un èsse à "algéroise" et il faut retirer celui de "ceintures"
    10
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:30
    Et heu en fait
    je suis pénible, mais il en reste, je tremble... d'être aussi chiante.
    11
    Fil
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:30
    Mais comme..
    ..dit Cosmic, c'est vraiment du détail.. :)
    12
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:33
    J'en termine...
    "prunelles de femme" au singulier, "un premier doute s'est" et non "c'est", "ce mot drôle de mot", "affiches" pour "affichés"... Mais si je dis ça, c'est parce que je t'aime, hein !
    13
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:34
    Détail
    Voui, et puis comme ça, ce superbe texte sera irréprochable, jusque dans le détail, justement :)
    14
    Fil
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:35
    Ouep
    Grace à Cosmic, là, on approche vraiment la perfection. Ca va, Chach?
    15
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:39
    Il fignole
    mais il va bientôt terminer, je pense
    16
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:44
    Vous êtes un peu chiant
    là... Je vais être en retard... Je fignole donc, allez chignole, bagnole... Caracole !
    17
    Mercredi 19 Avril 2006 à 16:52
    Et voilà !
    Top !
    18
    Mercredi 19 Avril 2006 à 22:53
    Cyril,
    Encore un pan de vie qui ma pris aux tripes ...
    19
    Dan
    Lundi 24 Avril 2006 à 10:47
    Textes a mediter
    A mediter ... http://lesalutparlafoi.over-blog.com/
    20
    Lundi 24 Avril 2006 à 15:17
    Je médite
    rarement Dan... Et je suis totalement hermétique à la foi. Ceci étant dit, il y a des choses bonnes à prendre partout, y compris dans les paroles d'évangiles.
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