• MERCREDI matin : 120 valises
    Sur l'écran, avait succédé à la tête de Boring Glair Premier Ministre de Grande Bretagne le visage débile du Président des Etats-Unis d'Amérique, George DoobleYou No. Enfin ce fut au tour de Boris Nicolaïevitch Poutsine de parler. Alexandre Vassilievitch Bébed attrapa le samovar familial sur la commode Louis XV. Le samovar fit une envolée digne d'un concerto de Khatchatourian. Il termina sa course dans le tube cathodique. La tête de Boris Nicolaïevitch Poutsine explosa. Il n'y eut plus dans la pièce qu'une épaisse fumée noire suffocante. Le général se précipita jusqu'au frigidaire. Il se servit un double bourbon qu'il avala d'un seul mouvement de gorge. Alors Alexandre Vassilievitch Bébed laissa exploser sa colère. Il hurla notamment nombre de mots indignes qui avaient tous pour particularité de douter de la bonne moralité de la maman du président Boris Poutsine. Bébed avait la rage. La rage noire. Plus noire encore que les abysses du lac Baïkal les soirs d'avril. Le monde avait osé se gausser de ses déclarations. La dernière gausserie en date, celle du premier ministre anglais était la plus terrible. Selon ce brave Boring Glair, « les bombes atomiques de Bébed avaient autant de consistance que les seins d'une jeune drag queen ». Bébed se resservit un bourbon pour faire passer l'insulte. Il faillit s'étouffer tant la colère lui démangeait la gorge. Voilà maintenant qu'il récitait des vers d'une voix monocorde, presque démente : « Oh monde incrédule ! Oh terre exécrable qui dresse des couronnes à la calomnie tandis que le chancre galopant de la vérité se taille en silence sa part d'horreur. »
    Son âme était plus tourmentée que celle du général Kouropatkine après la bataille de Moukden. Bébed suffoquait de hargne. Il aurait voulu décapiter tous ces puissants incrédules d'un seul mouvement de chachka. Il était donc le seul à savoir que la terre était en danger de mort. Le seul à savoir... le seul... et pas une foutue preuve. Il ne savait pas où les bombes s'étaient égarées. Croyez bien que s'il avait eu un début de commencement d'idée, il aurait prit plaisir à mettre le nez dans la merde de tous ces mécréants. Mais Bébed n'avait pas d'idée, Bébed était seul, Bébed était désespéré, Bébed était perdu. Son honneur avait été bafoué. Il n'avait plus qu'à finir sa vie triste, clochard et alcoolique. Cela, il saurait faire au moins. Il se laissa happer par la résistance molle de son fauteuil en moleskine, cadeau et souvenir de feu la pasionaria Anastasia Fedorevna Denikine, sa mère. Il bu plusieurs verres de bourbon Jack 'Daniel's avant que l'idée ne s'impose à lui. Elle était à la fois si séduisante et si terrifiante... En aurait-il seulement le courage ? Il n'était plus en mesure de réfléchir, tremblant, fébrile, il sortit de son holster le revolver Random VIS 35. Il posa le froid canon du métal contre son front bombé, il porta à ses lèvres un verre de bourbon, murmura « Na zdarovia,Tovarich »... ensuite il avala d'un mouvement violent le breuvage, émit un terrible soupir et s'apprêta à presser sur la détente...
    La sonnerie du téléphone le fit tressaillir aussi sûrement qu'un lièvre de Sibérie sur lequel aurait fondu le harfang des neiges. Le VIS 35 cracha une balle mauvaise et polonaise qui éborgna le portrait de son oncle le colonel Arpad Gregorievitch Bébed qui en avait pourtant vu d'autre à Katyn en 1940. " Allo " fit Bébed avec une voix tremblante d'émotion, aussi
    tremblante qu'un coupable dans les mains du NKVD.
    - Alexandre Vassilievitch Bébed ?
    - Lui même.
    - Bonjour Alexandre Vassilievitch, je suis Sergueï Ilanevitch Prokofiev, mon nom ne te dis sans doute rien, je suis receveur aux colis et paquets à la Poste Centrale de Saint-Pétersbourg.
    - Je t'écoute Sergueï Ilanevitch, mais parle le vite, je ne dispose plus de tout mon temps.
    - C'est que... voilà camarade Bébed, nous avons reçu pour toi une grosse quantité de colis, et il faudrait que tu passes pour signer le reçu.
    - Impossible Sergueï !
    - Impossible ?! Mais camarade pourquoi donc ?
    - Tout simplement Segueï Ilanevitch, parce que je n'attendais rien.
    - Ecoute moi, Alexandre Vassilievitch, j'ai ici 120 foutus cartons qui engorgent le service des colis et paquets de la poste de Saint-Pétersboug, et ces colis ont été expédiés de Géorgie par un certain Joss Elfchtaline à destination de, je cite « général Alexandre Vassilievitch Bébed ». Tu es bien le général Bébed ?
    - Oui.
    - Alors il faut que tu viennes signer le reçu et reprendre tes valises.
    - Mais Sergueï Ilanevitch puisque je te dis, que je n'attendais rien. Et puis ce gars là, ce Joss Elfchtaline, je n'en ai même jamais entendu parler.
    - Moi général, la seule chose qui m'importe, c'est que tu viennes signer le reçu et que tu reprennes tes 120 foutues valises Louis Vuitton.
    - Tu... tu ne m'avais pas dit qu'il s'agissait de valises Louis.... Louis Vuitton ?!? Tu es sûr ? (Et dans sa tête il pensa : "Sainte Mère Russie", serait-ce possible...)
    - Oui camarade.
    - Alors ne bouge pas Sergueï Ilanevitch, j'arrive tout de suite... surtout ne bouge pas... Alexandre raccrocha. Il se couvrit la tête d'une chapka en vison d'élevage, replaça le VIS 35 dans son holster, ceintura son blouson en daim au niveau de la taille puis il enfila ses longues bottines en cuir de chinchilla. Il se sentait l'âme d'un grand guerrier. Par on en sait quel coup du destin, les bombes atomiques perdues allait bientôt être entre ses mains. Et elles étaient cachées dans des sacs Louis Vuitton. Alexandre Vassilievtich n'avait donc pas donné à la journaliste le nom de cette marque au hasard, il en avait eu la prescience, comme en son temps le moine fou avait eu la vision de sa propre mort. Avant de sortir il pensa à Grigori Raspoutine...

    A suivre...

    Photo : (un des rares clichés du général Bébed (jeune et sans doute bourré) dont on dispose. On remarque dans ces mains le colt 45 qu'il possédait avant son Random Vis 35.

    Texte : Le Coati


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  • Mardi après-midi : danger sur les pôles


    Journal de France 2, 13 h00.



    “Un pavé dans la mare radioactive. L'article de Martine Legendre dans Libération de ce matin, a secoué les états major du monde entier. Le général russe Alexandre
    Vassilievitch Bébed commandant suprême des armées du nord limogé l'avant veille sans raisons officielles et joint ce matin au téléphone dans son studio de Saint-Pétersbourg par notre correspondant en Russie, Jean Barnabé Cardoze à confirmé ses déclarations faites à notre consoeur, habituelle collaboratrice de l'hebdomadaire satirique, le Canard Enchaîné. Le Général russe affirme qu'il y aurait bien dans la nature 120 bombes atomiques de la taille d'une petite valise Samsonite. Le général Bébed a précisé que la marque des valises pouvait tout aussi bien être Louis Vuitton mais qu'il n'y avait pas encore suffisamment
    de preuves en ce sens pour affiner ses dires.

    Le général a ajouté que les bombes ont été perdues de vue depuis plusieurs années maintenant, quand l'Union Soviétique a éclaté. Les autorités soviétiques auraient alors imposé le black-out par crainte que les puissances occidentales ne posent comme conditions à l'aide économique la localisation exacte des bombes. Or ironise le général Bébed, avec la multiplication de micro-Etats aux portes de l'ex-empire, “autant chercher un grain de caviar dans

    la Loubianka</personname>”.

    Si au Quai d'Orsay on reste prudent sur les déclarations du bouillant général, le porte-parole du Département d'Etat américain, James Folding a qualifié dans un
    communiqué diffusé par l'Associated Press les allégations de Bébed, de “fumisteries d'un esprit agité par sa récente mise à pied”. Quand au président de

    la République</personname></personname> de Russie, Boris Nicolaïevitch Poutsine il vient d'annoncer sans sourcilier à la télévision Russe, “qu'on ne pouvait prendre au sérieux les lubies d'un homme rongé par le delirium tremens”. A l'Est comme à l'Ouest, la plus grande circonspection semble donc de mise. Nous avons invité ce soir, en exclusivité, pour faire le point sur cette inquiétante affaire, un des plus grand spécialiste, du roman d'Espionnage, l'écrivain américain Tom C.



    “ - Tom, bonsoir. Je crois que vous parlez français ?

    - Je... bar à gouines.

    - Okay. Que pensez vous des récentes déclarations du général Bébed ? 120 bombes atomiques dans la nature est-ce bien sérieux ?

    - Well ! J'ai moi même écrit a book qui traite d'un atomic yellow submarine volé par commandos terroristes comoriens qui crash le yellow submarine contre les installations de pétrole du Océan Atlantic north.

    - un excellent livre, “À la poursuite du comorien jaune en octobre” si

    je me souviens bien du titre.

    - exactly ! Vous avez vraiment trouvé ça, good book ?

    - passionnant.

    - je écrire un truc encore plus formidable. C'est histoire d'un commando du front Polisario qui prend possession d'un satellite de

    la Nasa</personname></personname>, doté d'un dernier cri canon laser. These arabic bastard menacent de faire fondre glaces polaires to submerge le monde libre. Mais courageous marines' boys vont dans étoiles to foutre eux la piquette du siècle. And le monde libre is saying to us a grand ouf de soulagerie.

    - captivant. Mais revenons à Bébed. L'homme doit il être pris au sérieux ? On dit que son penchant pour l'alcool...

    - vous savez bien que tout cela is science fiction. Histoires pour faire peur à babies. Bébed est incrédible conteur. Il devrait écrire des books comme moi, il deviendrait rich.

    - donc pas de raisons de s'inquiéter ?

    - No problem !

    - Tom C. vous nous rassurez tous. Comment va s'appeler votre prochain livre ?

    - Well ! J'hésite. Peut être, fureur dans les étoiles. Ou May be Danger sur les pôles.

    - Formidable. Tom C, je vous remercie !”


    “ Les restes de l'actualité.
    Les troupes russes en état d'alerte à la frontière de la

    République</personname></personname> de Balalaouïkie. Va t-on vers un regain des tensions entre le colosse russe et son turbulent voisin ? Rappelons qu'en décembre dernier, les Balalaouïks avaient infligé un sérieux revers aux troupes de la

    Fédération</personname></personname> ” au lieu-dit de Volgodensk a plus de 400<metricconverter productid="400 kilomètres" w:st="on"><metricconverter productid="400 kilom│tres" u2:st="on"> kilomètres</metricconverter></metricconverter> à l'intérieur des frontières russes. »


    Photo : Chach Coati - Texte : Le Déaut Cyrille







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  • Mardi matin : arrivée du petit homme à Moscou.

    Joss était descendu sur Terre à 12 h 45, heure de Greenwich Village. Il aurait pu choisir plusieurs destinations pour se poser tranquillement pendant ses vacances sur Terre. Les Keys de Floride, Tahiti ou les Seychelles auraient été des coins agréables pour la bronzette et les bimbos. Paris, Venise ou Dubrovnik des endroits formidable pour un séjour romantique. Il aurait pu aussi bien s'intéresser aux bouges de Rio, aux quartiers chauds de Lagos ou aux bordels de Macao (vraiment très en pointe pour les parties de bondage ou les snuff-moovies) mais Joss était une créature casanière et nationaliste. C'est à Moscou qu'il avait donc choisit de s'arrêter.

    Aussitôt arrivé, il avait constaté qu'un certains nombre des réalisations les plus intéressantes de la période soviétique avaient évité la démolition. Les stations de Métro, les sept tours, l'Hôtel Russia étaient non seulement toujours en place mais ils avaient aussi résisté à la l'usure du temps. Joss avait choisit une suite au dernier étage à l'hôtel Russia, en plein centre de Moscou. Dans la ville, une agitation fiévreuse pouvait se lire sur les visages. Les attentats attribués à des extrémistes Balalaïouks avaient rasé l'avant-veille deux immeubles, à quelques centaine de mètres du Kremlin. Les plus éminents spécialistes pensaient à une manœuvre du Président Boris Nicolaïevitch Poutsine afin d'affermir un peu plus son pouvoir. Mais le peuple était inquiet. Et le Président Poutsine avait jusque-là toujours su répondre au mieux aux inquiétudes du peuple : il avait demandé à ce que l'on masse aux frontières de la Balalaouïkie Orientale les troupes de la glorieuse armée russe.

    Les valises à peine posées dans l'hôtel, face à la mine dégoûté du larbin, Joss avait compris qu'il revêtait une apparence humaine déplorable. En regardant autour de lui, il avait constaté que les moustaches façon petit père n'étaient plus du tout à la mode à Moscou tandis que le tissus de ses habits bon marché et le col Mao de circonstance n'était plus du tout tendance. Plus que tout, c'était son teint hâlé d'un verdâtre parfait sur un visage grêlé qui ne semblait pas convaincre ses coreligionnaires. Ces larges crevasses qui lui dévoraient le visage provenaient d'une variole mal soignée qu'il avait attrapé à l'âge de huit ans. Quand à la couleur de sa peau, c'était le résultat du climat glacial des Enfers et de la mauvaise nourriture qu'on y ingurgitait.

    Joss était doté d'un certain nombre de pouvoir mais il ne pouvait pas changer sa gueule. Le travail sur les chairs décomposées et les marques de la maladie nécessitait la maîtrise d'une chimie bien trop complexe pour y parvenir... A moins de disposer de davantage de pouvoir encore. Joss savait parfaitement qu'il devait tendre vers ce but simple : le pouvoir absolu : le pouvoir de la Bête. Et pour y parvenir, il fallait juste lui faire un cadeau. Le pouvoir suprême était donc à porté de main.

    Sur terre, Joss avait longtemps éprouvé les joies saines du pouvoir absolu. Déjà au séminaire de Tiflis, Joss, que ces camarades surnommaient alors Sosso, avait l'âme d'un chef. Un inflexible, un dur qu'aucun interne n'avait jamais vu pleurer ni se perdre dans une sordide histoire amoureuse. Ses joies étaient rares, ces chagrins inexistant. Une seule faiblesse avoué : on le disait croyant alors. En vérité, c'était déjà un pragmatique qui ne croyait ni à Dieu ni aux flammes de l'enfer. Lors d'une pendaison de trois lascars à Gori, un de ces camarades s'était inquiété du sort de leur âme dans une vie future. Iraient-ils embrochés comme des canards laqués, brûler d'éternité en un méphistophélique brasier ? Sosso ne le croyait pas et il avait simplement répondu à ce soucieux ami : « ce serait injuste. Ils ont déjà payé leur forfait ici-bas, pourquoi diable voudrais-tu qu'ils soient châtiés une nouvelle fois ?».

    L'avenir lui avait donné raison. Et Joss Elfchtaline, malgré l'indescriptible ignominie qu'il avait ensuite fait subir à ses concitoyens soviétiques avait trouvé l'Enfer plutôt doux.

    Au souvenir de ces forfaits passés, Joss fut pris d'un rire nerveux. Il se contempla encore une fois dans la glace puis il entrepris de défaire ses valises. Dans la trousse de maquillage, il choisit un coupe ongle, une paire de court ciseau, un peigne et un tube très design de fond teint baptisé « Couleur savane ». Ce devait sans doute être là, l'œuvre de publicitaires en mal d'ethnicité. Il entreprit alors de se « refaire une beauté ».

    Quand il eut terminé son remodelage esthétique, il commença à ressentir les prémices d'une crise d'angoisse aigue aussi terrible que celles qui le tourmentaient voilà 120 ans à l'école religieuse de Gori. Il commença à faire les cent pas, dans sa chambre. Il tournait et se retournait tel un fauve en cage. Lui qui n'était plus gêné depuis longtemps par ses glandes sudoripares avait désormais l'impression de suer à grosses gouttes. L'apparition de telles crises était rare chez Joss et depuis longtemps il en connaissait la cause : l'imperfection.

    D'un point de vu théorique, son plan en vu d'offrir « le cadeau à la Bête » était parfait. D'un point de vu pratique le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il avait un défaut à la cuirasse.

    Joss s'arrêta de marcher. Soudain, avec une agilité digne d'un caracal, il bondit comme l'éclair sur son lit et il commença à lacérer consciencieusement l'oreiller. Une fois achevé son exercice de destruction polochonesque, il se recroquevilla dans un coin du lit, les mains sur les tempes, en ânonnant des sons incompréhensibles mêlés à des mots plus précis : « Kéké, Sosso, Léon, bâtard, traître, chien, Moujik ». On l'aurait dit songeur mais ses yeux trahissaient un état d'abattement proche de l'hébétude. Ensuite, il s'allongea sur le lit et paru s'endormir.

    Quand il sortit de sa torpeur, il n'était pas loin de 17 h 30, heure de Moscou. L'air toujours accablé, Joss s'empara de la télécommande et zappant d'une chaîne à l'autre, il finit par capter les informations internationales. Tout à coup, il releva la tête, en proie à une explication aussi subite que désordonnée. A l'autre bout de l'Europe, en France, un des ces compatriotes, le bouillant général Bébed, bien connu en Russie pour son amour immodéré du Dieu boutanche, venait encore de faire parler de lui. Il lançait une information pour le moins ahurissante et sans doute aussi dénuée de tout autre fondement que la fantaisie d'un esprit inspiré par les éléphants roses... Mais Joss n'en avait cure. Les salades de Bébed venaient de lui fournir sur un plateau une idée d'un enchaînement. Enfin, la rationalité s'immisçait de nouveau dans son être exsangue, circulait dans son sang tari, lui faisait presque battre les tempes. L'agencement de son plan machiavélique devenait possible. Un délicieux éclair passa dans ces yeux. Un éclair furtif et démoniaque. Il eut une pensée pour le Général Joukov et se persuada que tout bon stratège qu'il était, il ne l'aurait jamais égalé.

    Texte et Photo : (hôtel Russia à Moscou où réside Joss Elfchtaline) : Le Coati


    Les informations sur la jeunesses de Staline et notamment l'anecdote de la pendaison sont issues de l'ouvrage biographique de Jean-Jacques Marie sur la jeunesse de Staline : Joseph Djougachvili staline - Naissance d'un destin


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  • LUNDI après-midi.

    Le Grand Emir de la Balalaouïkie Orientale, Lébionov Ostétrik Vassaïev sirotait une vodka citron vert en écoutant une balade triste de Paolo Conte quand le Grand Chambellan des masses pieuses, Chamir Artémïev Barine pénétra comme un dément dans son fumoir particulier du Palais de la Révolution Heureuse. Chamir regarda l'Emir alcoolique avec un air de profond dégoût. S'avilir à ce point lui semblait la marque d'une faiblesse indigne d'un commandeur des croyants. Mais l'Emir jouissait d'une popularité inégalée chez les Balalaouïks depuis qu'il avait personnellement participé à la prise d'otage de la caserne de Volgodensk à plus de 400 kilomètres derrière les lignes ennemies. Après ce fait héroïque, au grand dam du Chambellan, Vassaïev avait gagné la confiance pleine et entière de son peuple. Et quand l'envahisseur ruskof avait été repoussé hors des frontières de la Balalaouïkie, tout naturellement, Lébionov Ostétrik Vassaïev fut désigné comme chef de la glorieuse république Balalaouïkienne.

    Vassaïev considéra le Chambellan d'un air amusé, presque ironique. Pourtant Artémiev le dérangeait. Lébionov Ostétrik n'avait jamais compris l'agitation convulsive qui démangeait Chamir Artémïev comme une colonies de mouches à viandes sur un cul de vaches normandes. Cet homme prendrait-il un jour le temps de vivre ?

    L'Emir se leva, il alla couper la musique, puis se rassit. Il prit le temps de lisser ses longues moustaches de cosaque. Sans regarder le Chambellan, il lui offrit de s'asseoir et d'expliquer les raisons de son excitation.

    “ Sire !” clama Chamir Artémïev Barine, “les Russes ont massé des troupes à la frontière, Vos conseillers ont de bonnes raisons de croire qu'ils vont nous attaquer”.
    - Encore. Bâilla l'Emir.
    - Cette fois-ci Sire, la situation est grave. Nos voisins Kalmouks prétendent avoir aperçu des camions porteurs de SS20.
    - De la gnognotte !
    - Sire, les SS20 sont des fusées
    - Je le sais bien mon bon Chamir, j'ai fait mes classes dans l'Armée Rouge, tout de même. Les SS20 c'est de la merde. Je crache sur les mères des soldats qui utiliseraient pareille camelote. SS20 Pfu ! Les Tomahawks ça c'est de la fusée... de la fusée chirurgicale !
    - L'alcool aurait-il paralysé tes dernières qualités de jugeote, Lebionov Ostétrik Vassaïev, notre peuple est menacé de mort et tu me parles des mérites comparés des missiles de ces infidèles. Il faut que tu prennes une décision...
    - Ta gueule, iguane mystique !
    - Pardon Sire ?
    - J'ai dis ta gueule. Je n'aime pas ta façon de me parler Chamir Artémïev. Je n'aime pas ta façon de me tutoyer, Barine. Maudit soient tes aïeux ! Tu as l'air d'oublier que tu es Chambellan par ma grâce, je pourrais te faire égorger comme un vulgaire jankee. Tu le sais Barine ?
    - Oui Sire... excusez mon audace. Je me suis oublié... c'est l'inquiétude qui a guidé mes paroles dans les méandres obscurs de la déraisons... Je vous demande encore pardon Excellence, mais j'aimerais que vous entendiez une ultime requête, Sire.
    - Je t'écoute Barine. Du moins si tu as quelque chose de nouveau à me demander.
    - Voilà Sire, il faudrait que votre très haute et très inspirée conscience nomme une délégation d'ambassadeurs.
    - une délégation d'ambassadeurs !?! Et pour faire quoi, Barine ?
    - mais Sire pour négocier avec les russes.
    - j'ai dû mal entendre Chamir Artémïev, tu me demandes à moi le héros de la révolution de négocier avec les bâtards ruski. Je chie sur cette patrie de dégénéré. De mémoire de Vassaïev, jamais on a vu négocier un Balalaouïk avec le cloporte soviétique.
    - mais Excellence, vos conseillers pensent...
    - laissez mes conseillers dans les bras de leurs chiennes infidèles, Chambellan et occuper vous plutôt de ramener leur âme souillé dans les bras de notre seigneur Allah.
    - mais qu'allons nous donc devenir Excellence ?
    - la politique est une affaire de chef. Ne tourmentez pas inutilement votre conscience tordue, Barine. Si les Ruski attaquent, j'ai un “truc ” pour les recevoir.
    - un “truc” Excellence !?!
    - oui un “truc”.
    - un “truc” ? Vous piquez ma curiosité Excellence.
    - Un sacré truc même !
    - mais un truc comment ?
    - un putain de truc, Barine, si tu peux me pardonner l'expression.
    - Ah ah, je suis plus impatient que le jeune phoque espiègle à l'heure des premières plongées : qu'est-ce donc que ce sacré "truc" ?
    - du calme Barine, réfrène un peu tes ardeurs : il faudra te contenter de ce que je viens de dire. Tu sauras en temps voulu si tu sais être patient. Maintenant retire toi, je me sens las tout à coup.”

    Le Chambellan recula en multipliant les courbettes et les effets de manches. Juste avant de refermer la porte du fumoir, il vit encore l'Emir se resservir une rasade de vodka. La haine lui battait les tempes. Cette fois il en était sûr l'Emir était devenu fou. Il fallait qu'il convoque le conseil des mollahs. Ils décideraient de la destitution de l'Emir, et puis ils iraient négocier avec les Ruski. Le chambellan pensait que c'était la meilleure solution. C'était une question de survie. Pour le bien du peuple Balalaouïk, pour sa mémoire et sa culture, pour la gloire d'Allah qui sait tout.
    Chamir Artémïev Barine esquissa un sourire. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas sourit. Il longea le Couloir des Pas Retrouvés jusqu'à la sortie du palais. Il faisait beau en ce mois de septembre. Un soleil éclatant rayonnait sur la capitale Grosnov. Soudain un étrange nuage gris barra comme une sombre menace les feux de l'astre solaire. Oh le nuage ne resta pas très longtemps, mais suffisamment pour que Barine y vit l'annonce d'un mauvais présage. Le Grand Chambellan des masses pieuses s'agenouilla pour prier Allah de lui accorder sa miséricorde. Immédiatement, ses tourments furent apaisés. Pour autant, une question continuait de le tarauder :
    Mais qu'est-ce que c'était que ce foutu “truc” à la mort moi le noeud ?

    Photo : Le Coati - Texte : Cyrille Le Déaut

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  • LUNDI MATIN : une bonne cuite



    Le généralissime des armées du nord, Alexandre (Sacha pour le diminutif) Vassilievitch Bébed dormait planqué derrière deux paupières torves d'un sommeil morphéen agité. Il avait avalé la veille une triple douzaine de calvados coco dans un pub capitaliste de l'artère Nevski. Bébed était un aristocrate d'une russitude exemplaire. Il savait noyer son chagrin dans les formes que requiert la tradition. Le calme avant la tempête. Les souvenirs refluaient au cerveau. La nuit passée, Bébed se rappelait confusément avoir ruminé de sombres dispositions. On l'avait mis à pied sans préavis. Viré comme un malpropre. On l'avait humilié. La néo-nomenklatura, cette bande de mégalosaures allait payer le prix fort de son éviction. Enroulé dans le tapis d'Arménie, souvenir d'une opération commando contre les “profiteurs” d'Erevan, Bébed réalisa un tour complet sur lui-même. Il glissa jusqu'à la table basse japonaise, héritage de feu le colonel Vassili Fédorévitch son père qui l'avait arraché au péril de sa vie pendant l'occupation de l'île Sakhaline en août 1945 à une famille de dangereux éleveurs de cochons bridés. Il se cogna contre l'arête tranchante, hurla “tu quoque Boris Nicolaïevitch !” puis replongea dans les limbes de la Volga. Même ainsi endormit, Alexandre Bébed impressionnait. Il mesurait environ six pieds de haut (n.l.r : 1, 98 cm), son corps était mince, mais le muscle noueux et solide. A cinquante cinq ans, il arborait encore un visage jeune de type mongoloïde, une coupe martiale, des pommettes saillantes taillées à la nagaïka et des yeux bleus comme le ciel d'Estonie. Son sourcil était noir, dru, épais et son front bombé, semblable a ses dragons étranges qu'il avait autrefois admiré sur l'île Komodo en mission secrète pour le compte du KGB. Bébed dégageait une impression de puissance extraordinaire. Il avait perdu une couille arrachée par une mine afghane en 1979 pendant le siège de Kaboul, mais Saint Cyrille soit témoin, avec celle qui restait, il faisait des miracles. Il s'était fait un devoir d'honorer quotidiennement la femme soviétique afin de disséminer son incroyable patrimoine génétique, au hasard des imprudences. Dans tous les claques de l'ex-empire, de Vladivostok à Kiev, il était connu comme le loup blanc. En fait de loup, Bébed avait plutôt du tigre de l'Oussouri dans ses déhanchements nocturnes. Quand il entamait une masturbation par exemple, exercice rare qu'il pratiquait exclusivement les lendemain de cuite, il finissait toujours par arriver au jet, mais c'était au prix d'abominable griffure sur son vit patriote. Oh oui Bébed était patriote !

    Il aurait explosé la tête d'une balle de son Random VIS 35, le mécréant qui en aurait douté. Alexandre Vassilievitch Bébed était le plus grand patriote que la Très Sainte Russie et l'URSS réunies eussent jamais compté dans leurs rangs. A l'écouter conter sa passion pour les personnages illustres de l'histoire russe, on ne pouvait douter de l'immense amour que cet homme réservait à sa patrie. Sous le charme, on devenait admiratif quant au savoir militaire qu'il leur avait emprunté. Bébed vénérait Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Napoléon Bonaparte, l'amiral Koltchak et le sombre Béria. Mais il réservait une place à part au général De Gaulle. Un très grand homme ce De Gaulle. Il l'avait rencontré une fois à Paris, quelques mois avant sa mort. Alexandre selon la terminologie en cours à l'époque était alors “conseiller culturel”. C'était à l'ambassade d'Union Soviétique le 7 janvier 1969. Le général avait été invité pour fêter le Noël orthodoxe. Alexandre était un très jeune homme à l'époque mais il avait osé interpeller le général de sa voix de stentor : « Eh Tovarich Grande Zorra, Ti otchich Pit godet avec moi ? Vodka ? Champagne ? » ? L'homme du 18 juin avait d'abord froncé les sourcils, un brin désarçonné par les manières du rustaud du bonhomme en face de lui. Mais, comprenant qu'il avait un Russe en face de lui, puis n'avait pas relevé offense et il avait cogné son verre contre celui de Bébed. Ensuite, ils avaient conversé une bonne demi-heure, à bâton rompus. A la fin de la discussion, le Général s'était épanché auprès de Bébed sur l'esprit cureton et versatile de ses concitoyens : Oui, mon bon Alexandre Vassilievitch, les Français sont dévots !

    A ses mots, Alexandre s'était fendu d'un conseil. C'était une de ces soirées exceptionnelle où la vodka coulait à flot, le caviar dégorgeait des plateaux, les mots succédaient aux mots, De Gaulle était mélancolique, Alexandre plus simplement bourré. Ah instant magique quand il avait expliqué au général comment gouverner avec le peuple !
    “Plébiscite Général, c'est mot clé ! Plébiscite Général, est bon pour assise des grands hommes comme vous... Prenez exemple Napoléon. Un jour, nous autres Russes auront aussi démocratie de peuple, par peuple, pour peuple”. Le général avait embrassé Bébed sur le front, avant d'exécuter un gracieux pas de danse, puis il s'était perdu dans la foule des convives.
    Son conseil avait-il été suivi ?
    Bébed qui ne lisait guère la presse française n'en su jamais rien d'autant qu'il avait été rappelé précipitamment à Moscou par Léonid Bréjnev.
    Ce général quel grand cœur quand même !
    Bébed aussi avait un grand cœur. Un cœur aussi grand que le Pic du communisme, mais il n'oubliait jamais les affronts. Il faisait toujours payer à ceux qui l'avaient offensé. C'était sa loi. La loi de Bébed !

    Alexandre Vassilievitch eut un hoquet. Il ouvrit un oeil aviné, puis un second. Il avait cauchemardé le siège de Sébastopol suivi immédiatement après par le désastre de Port Arthur. Il éternua à quatre ou cinq reprises et songea qu'il était temps d'en finir avec son vilain penchant occidental. Décidément la cocaïne concomitante de l'alcool franchouillard ne lui réussissait pas. À l'évocation de la patrie du petit caporal et du grand général, il eut bizarrement une pensée émue pour le plus grand poète orthodoxe de l'histoire pré-soviétique. Oh pauvre, pauvre Pouchkine !

    En effet, malgré le sentiment de l'irrévérence qui procédait d'une mise en accusation de la patrie qui lui avait légué ses modèle de stratégies, il ne pu s'empêcher de nourrir un profond mépris pour les Français. Une nation qui avait pu engendrer l'assassin de Pouchkine était une nation dont il fallait se méfier. Français quel peuple ambigu, une foutue race d'amants susceptibles. Et pourtant la décision de Bébed était prise, c'est bien à la France qu'il ferait appel.
    Alexandre Vassilievitch était maintenant totalement réveillé. Il repoussa le tapis d'Arménie, se leva sur ses deux jambes puis marcha jusqu'à l'unique pièce séparée de la chambre : la salle de bain. Son studio était un cadeau du premier secrétaire Youri Andropov en récompense de ses bons et loyaux services pendant l'occupation de Kaboul. Il n'était pas à proprement parler immense, mais tout à fait fonctionnel. Et puis il avait une vue imprenable sur le Palais d'Hivers, à quelques encablures de l'Amirauté. Alexandre Vassilievitch commença à se dévêtir. Sa main toucha machinalement sa verge et il commença à se masturber à deux doigts, en souvenir des vieux chrétiens. Comme l'animal restait désespérément flasque, il se décida pour un bain d'eau froide. Non qu'il apprécia particulièrement le liquide à température sibérienne, mais parce qu'il n'y avait pas d'autres solutions. La concierge l'avait avertie voilà quelques jours d'une coupure d'eau chaude qui se prolongerait sans aucun doute jusqu'à l'automne. Bébed plongea son corps dans l'eau, jusqu'au cou. Il resta ainsi plusieurs minutes à souffrir du contact liquide qui lui dévorait la peau pire qu'une cohorte d'acariens galeux, puis il s'échappa comme un diable à ressort de la baignoire, il se frictionna énergiquement le torse avec une serviette qu'il accrocha ensuite à sa taille. Il revint dans la chambre, décrocha le téléphone. Il demanda à l'opératrice le numéro de Martine Legendre du journal Libération à Paris. Il fut surpris par la voix rauque qui lui répondit au téléphone. Une voix d'homme. L'opératrice s'était-elle trompée ?

    Dans un français excellent quoique fort prononcé, il demanda s'il pouvait parler à Martine angelmoï Legendre.
    « Martine ?» répéta l'homme au bout du fil, « mais elle ne travaille plus ici. »
    “Ah !?” soupira Bébed désappointé. “Et où peut-on joindre elle ?”
    - Au Canard Enchaîné.
    - Canard Enchaîné ??? Qu'est-ce ça vouloir dire, Chto età ?
    - C'est un journal qui aime la vérité. Vous êtes russe n'est-ce pas ! Tenez c'est l'équivalent de votre Pravda.
    - Ah journal du pouvoir ?
    - Si l'on veut, fit l'homme avec une pointe d'ironie dans la voix.
    - Ça pas trop convenir à mes révélations, répondit Bébed sérieusement.
    - Vous avez des révélations à faire ? De quel ordre ? Un rapport avec la santé de Poutsine ?
    - Je rien pouvoir dire Gaspadié. Vouloir parler à angelmoï Martine. Vieille, vieille amie de moi.
    - Bon fit l'homme à regret, je vais vous donner son numéro au Canard.”
    Le journaliste s'exécuta. Alexandre Vassilievitch Bébed le remercia chaleureusement. Il raccrocha, composa le numéro. La voix chaude de Martine Legendre lui pénétra jusqu'aux orphelines, bien nommées pour l'occasion. Il hésita de longues secondes avant de parler. Sa gorge était serrée, comme celle d'un collégien à la cantine devant un plat de choux de Bruxelles. Il parvint tout de même à retrouver son timbre le plus suave puis murmura :

    « Martine, c'est moi Alexandre Vassilievitch. Tu souviens soirées magnifiques de l'été 68 sur barricades Rue Lepic. Oui tu souviens !
    Un ami ambassade m'a dit que tu devenus journaliste célèbre. Mais tu changé journal. Pas grave. J'ai choses extrêmement graves à te conter... Il ne s'agit plus d'abattre capitalisme mais de sauver monde libre... »

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