• Un grand mec ce Stani, on lui doit quand même la Place du même nom... Peut-être une des plus belles places du monde. Beau-père du roi Louis XV, sa fille Marie Leszczinsky était une vraie mocheté et le Louis a pas dû s'amuser tous les jours. Mais, bon Stani, ça a été un vrai mécène qui a réussi à donner à une ville froide de Lorraine des airs d'Italie.

    Sinon, y a mon entreviou honteusement tronquée chez l'Attachiante que j'aime. Finalement le plus agréable dans l'entreviou c'est la bonne heure de rigolade avec elle. Bises Marie... Elle a complètement oublié de me parler de la Lorraine... Pfuuu (sourire Marie... T'es la meilleure)

    Photo : Le Coati

    7 commentaires


  • On évoque en ce moment, la violence des banlieues. Il en est une autre qui existe plus insidieuse. Celle qui consiste à ne jamais regarder du côté de ceux qui sont déjà à la marge. Nancy, s'est faite un ravalement de façade... Son fleuron, la Place Stanislas a désormais peau neuve. Blanche immaculée qu'elle est. On lave nos centres villes à l'eau claire, pour le plaisir de se dire qu'on vit proprement. Ce clochard qui passe devant un restal à touriste est une cloche sans haillon. Pour peu, on lui dirait qu'il ne fait pas assez pitié et d'aller se rhabiller en conséquence. Voilà où l'on en est même arrivé : c'est comme la télé-réalité. La misère doit se voir, être un peu pornographique pour faire vendre. Le spectacle est partout. A force de cracher sur les idéaux notre "génération bof" n'a rien inventé en retour. Elle est du genre résigné. Elle digère tout sans nuance. Ah si, il reste quelques poètes révoltés dans l'humanitaire, concept qui malgré tout le bien que j'en pense ne fais jamais qu'accompagner le monde sans désir de le transformer.

    Merdre, ce que j'aimerais qu'on s'organise, Père-Ubu !

    Photo : Le Coati



    3 commentaires


  • Retour en France.
    En 1989, après mon baccalauréat, mon père et moi avons eu une discussion houleuse pour savoir ce que j'allais faire comme études.
    « Histoire », j'ai hasardé.
    « Droit, c'est mieux » il a dit.
    Si bien qu'après la houle, à la rentrée de septembre, j'ai pointé mon nez à la Faculté de Droit de Nancy.

    Pour qui aime Marot, Voltaire, Babeuf, Louise Michel et Gramsci, suivre des cours dans une faculté de droit de province est un bon moyen d'apprendre à fermer sa gueule. Pour qui se dit « progressiste », faire son droit est une excellente méthode vers le renoncement à toute idée de progrès. Nos coreligionnaires les plus bruyants (souvent membre de l'UNI ou de Renouveau Etudiant, bref du limite facho au 100 % facho) ont toujours eu des arguments massues (même si la plupart du temps en fait de massue, c'était plutôt pieds de chaises et battes de base-ball). Le problème, c'est que je n'étais pas encore progressiste mais plutôt révolutionnaire, que je détestais la fermer et que je n'avais encore prononcé aucun vœux de renoncement.

    Comme j'ai très vite jugé les cours d'amphis particulièrement fastidieux, (à l'exception notable du « constite » et de l'Histoire des « Instite ») et mes camarades aux cheveux aussi courts que leurs idées, je passais bon nombre de mon temps à écumer les cafés des alentours. Les bars étudiants, c'est très pratique pour jouer au baby-foot ou pour refaire le monde avec d'autres glandus du même acabit. Les glandus fumaient dru. Du bon, de l'afghan, du libanais, du pollen, de la beuh, ou de la chambre à air.... Je me suis mis à fumer avec un savoir-faire digne d'une locomotive... Une vieille, une qui marche au charbon. J'ai acheté pour ma consommation perso et revendu pour en racheter à nouveau. J'ai bloqué des toilettes, en nombre pour me rouler mon petit pécos d'inter-cour. J'ai commencé à devenir serein. Et aussi sérieux dans la sérénité qu'incapable dans l'apprentissage. Plus glandeur que jamais, j'ai commencé à aimer la glande... A m'en faire l'élégiaque laudateur. Mais la glande ne dure qu'un temps... Et il vient toujours une heure où l'on cherche un exutoire au désœuvrement qui découle d'une carrière juridique compromise.

    Cet exutoire ce fut l'UNEF-ID (Union Nationale des Étudiants de France, Indépendante et Démocratique. Scission de la Grande UNEF, l'UNEF-ID était alors plutôt marqué PS, mais je m'en souciait comme de l'an 40). Je suis entrée en syndicalisme comme j'avais appris l'art de la fume, à la sauvette. Et un beau matin d'octobre, je me suis encarté dans l'un des deux syndicats étudiants de gauche qui sévissait dans l'Université de Nancy II. L'UNEF-ID de la Fac de droit et science-éco était à cette époque essentiellement fréquenté par une bande de joyeux lurons Marocains, tous membres de l'USFP (Union socialiste des forces de Progrès : à l'époque, c'était il s'agissait alors de l'opposition socialiste au gouvernement d'Hassan II. Aujourd'hui, l'USFP est l'un des partis de la majorité). En vérité, je ne me suis pas vraiment encarté, on est venu me chercher. Mes lurons n'étaient pas encore très organisés. Parce qu'il fallait donner un gage à la réaction, mes lurons avaient eu la lourde et difficile tâche de dénicher (quelques heures avant le dépôt des listes), une sorte de chantre tonitruant et gaulois (il paraît que ça passait mieux en droit la gauloiserie) pour figurer (en position éligible) sur la liste du CEVU (Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire, un des trois Conseils universitaire).
    J'avais rencontré « mes Marocains » dans un café attenant à la Fac : le Couarail. Ce bar avait l'immense avantage de produire une bière correcte et des idéologues de bon niveau. Ainsi, Salah SBYA et Mohamed EL GHAS, les deux amis qui parièrent sur ma future « carrière syndicale » ont fait mieux que de réussir leur formation universitaire. Rentrés au Maroc au début des années 1990, ils ont apporté un sang neuf et contestataire à la gauche Marocaine. Salah est devenu Rédacteur en chef de Libération Maroc tandis que Mohamed après avoir été Directeur de la Rédaction, a été élu Député de Casablanca à l'été 2002, avant d'être nommé il y a peu, Ministre de la jeunesse du gouvernement de Driss JETOU.

    Pour revenir aux élections universitaires, si nous évoluions à l'époque dans une Fac sérieusement tenues par des profs plus conservateurs qu'un additif pour sauce tomate, les étudiants « syndicalistes » de la droite modérée n'étaient pas légion. Après un savant travail de sape, nous avions donc facilement réussi à convaincre les votants que le Syndicat l'UNI était composé de dangereux extrémistes (Ce qui n'était pas difficile dans la mesure où plusieurs de ses membres étant affiliés au Front-Nat). L'UNEF-ID qui prônait apathie et modération était relativement apprécié par les étudiants de DEUG qui votaient (soit une écrasante minorité, puisque seul 5 à 10 % des étudiants votaient). Le cocktail entre ma gouaille naturelle et la solide érudition syndicale de mes nouveaux amis fit merveille. Après avoir exhorté dans les amphis, les filles qui m'aimaient bien et les copains de comptoir, à voter pour moi, je fus élu conseiller du CEVU. Cette élection me prédisposait ainsi à devenir (sans que je ne m'en doute encore) un dirigeant syndical de 3e catégorie : incapable de distinguer le CROUS du CA (respectivement Conseil Régional des Œuvres Universitaires et Sociales, en gros la gestion de la cantine et Conseil d'Administration, en gros la gestion de l'administration universitaire), plus prompt à dénoncer l'extrême droite qu'à étaler des propositions, héraut impénitent de la gauche marocaine en exil, chantre incompris de l'apprentissage du Droit Civil dans une interprétation versifiée par mes soins, buveur, noceur, bouffon, menteur, dragueur... Décidément, mes débuts n'avaient rien de prometteur...

    Honnêtement ce fut pire après.

    Photo : Le Coati

    25 commentaires


  • Mais papa, il a pas trouvé ça tout pourri d'être suppléant. Il a attendu que maman en ait ras-le-bol de Madagascar. Et elle en avait bien raz-le-bol, ça les raisons ne manquaient pas. Après, il nous a dit qu'on allait rentrer en France parce qu'il avait obtenu un poste de prof et la direction d'un un labo à Nancy. C'était en 1985 et ça tombait bien qu'on aille à Nancy parce que les parents de maman, ils habitaient juste à côté, à quelques kilomètres de Pont-à-Mousson.

    Papa, quand il est arrivé, il a tout de suite adhéré à la section PS de Nancy. Et puis, il leur a fait valoir qu'il était prof d' Université et même sénateur suppléant de gauche.

    Et les gens du PS de Lorraine, ça les a foutrement estomaqué de connaître un Sénateur suppléant de gauche.

    En France pourtant, la gauche allait (déjà) pas bien fort. Les élections législatives approchaient. Le scrutin choisi par MiTTERRAND allait se faire à la proportionnelle. Une première en France. Il fallait constituer une liste pour prétendre à la députation. Au PS, en Lorraine, il y avait alors trois députés. Les deux premiers sur la liste ils étaient à peu près contents de leur place. Mais pour la troisième place, ça se bousculaient pas vraiment au portillon. À l'époque, le troisième Député PS de Meurthe-et-Moselle, Yvon Tondon, avait même préféré prendre la tête de liste pour l'autre élection : les cantonales. Sûr qu'il espérait être Président du Conseil général.

    Bon mais tout cela, ça ne réglait pas le cas de la troisième place. Les analystes locaux prétendaient - au vu des sondages des RG - qu'elle était perdue pour le PS. Mais papa, c'est un optimiste. Il a une fois
    encore étalé son CV, et -tournez manège - le PS l'a investi à la troisième place.

    Maman, mon frère, les chats, le chien et moi, on est resté quelques semaines dans l'expectative. On savait pas trop quoi en penser de cette troisième place. Jusqu'au jour ou, en plein centre de Nancy, sur une
    affiche 4 x 3, j'ai vu en énorme, la tronche bienveillante du pater familias.

    Là, j'ai pas aimé du tout, j'ai pensé à la gueule des copains, le lendemain au collège...

    Parce qu'en troisième, au Lycée George de

    la Tour</personname />, ça a été l'enfer ces
    affiches. Le lendemain de leur collage, dans la cour, j'ai eu droit à un panel
    de réflexions sympathiques :

    - Alors comme ça, ton père est socialo ? Et en plus y se présente pour faire député ?

    - Ton père, c'est un gros nullos ! socialo = collabos.

    <!--[if !supportLists]-->- Mêmeque les socialos y piquent l'argent des commerçants, et les miens y tiennent un bureau de tabac.

    - Mitterrand, il est pour le goulag, d'ailleurs, il est allié avec les communistes.

    Bon, j'exagère à peine. J'étais quand même élève dans un collège public et pas des plus classieux... j'avais donc quelques soutiens, du côté des beurs notamment. Ceux-là n'en voulaient pas encore trop au PS. Ils savaient pas qu'avec la proportionnelle, la gauche venait d'ouvrir la boîte de pandore Front National. Bref, j'étais le pote des Deux Djamel, de Mohamed, de Liesse... Et en cette année 1986, on touchait pas à un pote.

    D'ailleurs, les récriminations des aut' têtards, fils d'affiliés à

    la PEEP</personname />,
    s'arrêtèrent du jour au lendemain. Précisément un beau matin de (mois) 1986 : mon père, Jean-Yves Le Déaut, venait à sa grande surprise d'être élu Député de Meurthe-et-Moselle. Et avec la moyenne s'il vous plaît, la plus
    forte moyenne même.

    À la récréation, le matin de son élection, j'ai été félicité comme si j'avais moi-même gagné. En même temps, j'aurais déjà pu ouvrir une permanence électorale. Parce que je ne vous raconte pas les types qui défilaient. Ceux-là, (dont bon nombre des anciens détracteurs) étaient mandatés par papa, maman pour me dire « bravo fiston »... et accessoirement pour savoir s'il était possible que papa intervienne, dans la mesure de ses moyens, pour leur faire sauter une vieille contravention.

    Dégoûté, je l'étais même pas. Au collège, j'étais devenu un passionné d'histoire. Alors, je me disais juste que si depuis la nuit du 4 août 1789, les Français (en tant que Nation) abhorraient les privilèges, depuis des temps indéterminés le Français (en tant qu'individu) ne crachait jamais sur un petit coup de pouce du destin.

    Pour tout vous dire, à l'actif comme au passif, l'élection de mon père m'a marqué. Mais l'éveil à la politique, le véritable éveil, celui de l'action, je le dois à la droite victorieuse, à Chirac, à Pasqua, à Monory mais surtout à l'obscur et futur victime sacrificielle : Alain DEVAQUET.

    Alain, je veux le remercier. Il ne pouvait pas me faire plus beau cadeau pour mon entrée en seconde. De par mes notes, (moyennes), je n'étais pas précisément promis au brillant avenir des classes prépas. Normal Sup, Science Po, l'ENA, j'avais objectivement peu de chance. Mon Amérique à moi, ce serait l'Université, sans doute dans les Sciences Humaines.

    Or, pour les bonnes œuvres de la réforme de l'Education Nationale, René et Alain nous avaient concocté une gentille augmentation des droits d'inscriptions... et ça, ma conscience laïque ne pouvait pas le supporter. Pour moi, l'école où l'on payait, c'était l'école libre. L'école publique, l'Université, c'était gratuit. Aux autres, je voulais bien laisser la liberté de payer ou d'aller pointer chez le curé pour un petit cour de caté. Mon école à moi, je l'aimais comme ça avec ses grands principes d'égalité pour tous et ce, même si je me disais déjà que ce n'étaient que des « grands principes », du virtuel.

    À eux, le réel, (du fric à débourser) à nous le virtuel, (égalité, fraternité) ! c'était simple, simpliste même et on voulait bien s'en contenter alors. D'autant, que les manifs qu'on leur a préparées, elles étaient quand même mahousses.

    Au départ, j'étais pas en première ligne. Les profs approuvaient la décision des premières et des terminales de manifester. Mais à nous seconde, ils tenaient un tout autre discours : trop petit ! Pas concernés ! Révisez !

    J'ai failli me faire avoir. Mais un après-midi, après la cantine, je suis tombé sur un sit-in des premières. Ils préparaient la manifestation du lendemain. Fallait confectionner les banderoles, écrire les slogans, voter pour les représentants de

    la Délégation. Je</personname /> trouvais ça un peu formel, trop arrangé. Mes rêves de « grand soir » filaient à vitesse grand V. Mais une grande, une Terminale s'est approchée. Elle était blonde, avec des yeux bleus et des lèvres roses. J'ai tout de suite remarqué sa poitrine généreuse. Elle a dit : « Tu veux bien nous aider à faire les calicots ? »

    Inutile de préciser que je me suis senti l'âme « d'un fer de lance » dans la seconde.

    « DEVAQUET, si tu savais, ta réforme... DEVAQUET si tu savais ta réforme où on s'la met... AU CUL... AU CUL... Aucune hésitation... »

    Cela a été comme ça pendant trois semaines. J'ai séché mes cours, pris la direction des cortèges, je me suis époumoné avec la certitude que ma voix portait au-delà des airs, jusqu'à l'Hôtel Matignon. Et puis, il y a eu Malik... Les voltigeurs de Pasqua.... Là, j'ai eu un ou deux trucs à faire valoir dans l'existence. Je voulais à moi tout seul renverser le gouvernement Chirac, faire fusiller Pasqua et cueillir le cœur d'une blonde...

    L'obscur c'était découvert une vocation. Surtout, au milieu de la foule des étudiants, il se sentait moins seul, moins taciturne...
    Mieux, un constat s'imposait, le combat collectif apportait un semblant de
    lumière.

    Après heureusement, je suis retourné un peu en Afrique... ça calme l'Afrique. A l'époque, les étudiants de Madagascar, du Cameroun ou du Togo, avaient beaucoup moins de problèmes que les étudiants Français... C'est bien simple, ils ne manifestaient jamais...


    Photo et Texte : Le Coati

    J'avais raison de penser.


    26 commentaires



  • Je n'ai pas eu une enfance comme les autres. En général, on commence par ça, avant de se rendre compte que des millions d'enfants n'ont pas eu une enfance comme les autres. Bon mais voilà, je n'ai vraiment pas eu une enfance comme les autres. Au commencement était un petit bonhomme qui, au dire de ses parents, n'était pas ce qu'on appelle un passionné de politique. Mon véritable éveil à la complexité du monde se fit plutôt par le biais des animaux.

    À deux ans, selon ma très belle maman, je connaissais par cœur le nom de tous les bestiaux qui figuraient dans les 21 volumes de « la vie privée des
    animaux » rédigés sous la plume experte de Maryse et Pierre Delagrange. Ophicéphales, échidnés, ornithorynques, oryctéropes, tétraodons et cœlacanthes représentait dans mon esprit des figures tutélaires, familières et amicales... leurs mœurs et celles de très nombreux autres que je ne mentionnerais pas ici (faute de place) n'avaient aucun secret pour moi.

    Précocement zoophile, je faisais le bonheur de mon papa et de ma maman, ravis d'exhiber à leurs amis l'étendu du savoir du singe savant.

    J'avais trois ans, une première maîtresse de maternelle fit un jour les frais de cette pensée immémoriale, cette quasi-réminiscence darwinienne.

    Elle voulait nous de faire prendre, photo à l'appui, des vessies pour des lanternes et un chien de prairie pour un suricate. Un vulgaire rongeur pour une svelte mangouste (certes de petite taille), mais viverridés quand même et au sens noble du terme. Je contestais son assertion : « non, m'dame, c'est un suricate ».

    L'instit passa outre : « oui, Cyrille, un chien de prairie ! ».

    Et puis le lendemain, devant la classe éberluée, elle fit machine arrière :
    « Hier, ce que je vous ai montré était bien un suricate, votre camarade
    avait raison ».

    Le pire, c'est que déjà, je jubilais intérieurement. Vaniteux comme pas deux,
    véritable chieur né, persuadé qu'en moi marinait à feu doux la science infuse... Bientôt, le potage serait prêt et je pourrais montrer au monde tout l'étendu de mon savoir. Mais ensuite c'est une autre paire de manches... toujours revient le boomerang en forme d'uppercut sapiens sapiens... On lit Socrate (traduit par Platon) par exemple et on découvre qu'il ne savait qu'une seule chose...

    Pour l'heure, j'en étais encore au stade expérimental. À quatre ans, une nouvelle passion tout aussi subite et désordonnée que la précédente me submergea corps et âme : la pêche... En rivière, mer, et même dans le marigot de Scheffersheim, (un charmant bourg du Bas-Rhin), la pêche (inclination qui m'enthousiasme encore de nos jours) ne m'appris ni la patience ni le sens des responsabilités.

    Au contraire, elle libérait en moi des instincts primitifs. Une sorte de
    convulsion juvénile et précoce me prenait à chaque fois qu'un malheureux se présentait au bout de la ligne. Lilliputien, (fort nombreux) ou mastards (plus rares) n'avaient que peu de chance d'échapper à ma mansuétude d'apprenti viandard. Disons-le sans honte, je n'étais pas encore un adepte du no-kill. À cette époque dans mon esprit précocement cartésien il n'y avait que deux sorte de poissons : les mauvais poissons qui se décrochaient ou cassaient mon fil. Et les bons poissons que je finissais pas catcher... Mais tout le monde sait qu'un bon poisson est un poisson mort.

    À cinq ans, mes parents tous deux professeurs, choisirent la voie de l'exil,
    là-bas au-delà des Océans. Nous atterrîmes à Madagascar au service de la très grande, la très noble, la très efficace coopération française.

    Aujourd'hui encore, les souvenirs de notre arrivée à Tananarive, (la capitale) sont vagues. Il est possible pourtant que ma venue dans l'Île rouge ait été remarquée par quelques autochtones. Il semble en effet, que pendant les deux mois qui précédèrent notre départ, mon père tenta de me convertir aux devoirs de tout nouveau migrant : « Cyrille, là-bas c'est un drôle de pays, les gens sont différents... ils sont plutôt plus noirs qu'ici. Ils sont même très noirs. Alors pas de remarques. Si tu as quelques choses à dire, tu tournes sept fois ta langue dans ta bouche ».Conseils que je m'empressais de suivre. Nous étions arrivé à l'aéroport d'IVATO, depuis moins d'une demi-heure. La chef de labo de mon père, Madame Rakotovo, une brave femme avec de grosses lunettes, était venue nous chercher avec sa vieille R12.

    Le trajet reliant l'aéroport à la capitale prenait environ trente minutes. Nous
    roulions lentement. Il faisait chaud. Mon frère (encore un nourrisson) pleurait. Autour de nous, dans les rizières, des enfants aux dents très
    blanches jouaient à s'asperger d'eau. À côté des enfants, il y avait des
    cochons qui, eux aussi se rafraîchissaient. Tout noirs qu'ils étaient les cochons. Si j'avais eu loisir de passer auparavant par

    la Corse</personname>, ça ne m'aurait pas étonné de voir de cochons noirs. Mais là... le zoologue en herbe que j'étais, se trouvait bien un peu étonné par ce mystère de la pigmentation du suidé malgache... Sauf que ledit zoologue se souvenait des paroles de son père, pas de remarques. Alors il gardait ses étonnements pour lui.

    C'est Madame Rakotovo qui a rompu la glace : alors Cyrille, ça te plaît ici...
    c'est pas comme chez toi, hein ?

    Pas de réponse... bouche cousue que j'étais, fermeture-éclair, eh pas folle la
    guêpe ! Mon père a insisté : Cyrille, Madame Rakotovo te pose une question : est-ce que ici, c'est pareil qu'à Strasbourg ?

    N'y tenant plus j'ai dit : Non c'est pas pareil. T'as raison papa, ici c'est un drôle de pays, pas comme chez nous... ici, même les cochons sont noirs !

    Madame Rakotovo a souri. Bien sûr, elle ne m'en a pas voulu. Moi je ne retiens qu'une seule chose de cette histoire : si mon père ne m'avait pas bassiné (bien innocemment tout de même) sur la teinte des natifs, jamais je n'aurais trouvé que la couleur noire de l'homme était une caractéristique aussi extraordinaire que cette couleur impossible pour les cochons qui comme chacun le sait sont toujours rose bonbon et adeptes des maison en paille, en bois ou en brique.

    Les sept ans pleins (en fait plus du double mais dans d'autres pays d'Afrique) qui ont ponctué ma vie à Madagascar sont parmi les plus heureux de ma vie. Normal, ils correspondent à l'enfance. Et une enfance quand elle est heureuse, c'est toujours le meilleur moment. Je pouvais pêcher des Tilapias dans les rizières, à moins de deux minutes de la maison. Je pouvais observer les animaux, (caméléons, serpents, tortues, oiseaux, libellules, araignées) qui peuplaient notre jardin de quelques hectares. Je pouvais jouer avec mon frère à rendre chèvre le gardien Ratolojanary. Je pouvais courir, me baigner, partir au bord de la mer 4 à 5 fois par ans. Bref, la vie de château.

    Oui, une enfance quand elle est heureuse, c'est formidable. Le problème, c'est quand on compare son propre bonheur à ceux des autres. Ce jour-là, on constate des différences de traitements. Madagascar, côté différences de traitements, c'est un pays avancé. Je ne nie pas qu'il y ait pas là-bas des enfants heureux. Il y a des enfants heureux au quatre coin de la planète. En revanche, ce que j'ai remarqué étant jeune, (aiguillonné par mes parents, ça va s'en dire), c'est qu'il y a quand même des gamins qui partent avec de sérieux handicap dans l'existence :

    Tiens, je me souviens de celui-là, près du centre culturel Albert camus. Au feu rouge, il s'est agrippé à notre voiture pour demander quelques francs malgaches. Un adulte est sorti de nulle part et l'a sérieusement bastonné. Son crime ? Avoir osé mendié de l'argent à des Vaza (n.d.l.a : les Blancs).

    Je me souviens également de tous ces autres, dans l'hôpital de Tuléar où je me rétablissais d'une amibiase intestinale : la morve au nez, les yeux cernés, les ventres gonflés par la malnutrition, ils n'en menaient pas large.
    Je ne parlent même pas des mendiants des faubourg de Tana, dont les membres ressemblaient à des sculptures des frères Di Roza ; parce qu'en ce moment, j'ai toujours à l'esprit l'image de ce vieillard, les jambes bouffées par la polio, les bras atrophiés, à quatre pattes, en train de ramasser des grains de riz avec sa bouche. Lui aussi, je me suis demandé s'il avait eu une enfance heureuse.

    L'éveil à la politique, pourrait résulter de ses images. Mais non, ces images sont postérieures, elle viennent avec l'âge, quand on les accumulent avec la patience maniaque d'un archiviste de la misère.

    L'éveil à la politique, je le dois un peu à mon père et à son propre engagement politique. Je ne sais plus pourquoi, il a intégré l'Association Des Français de l'Étranger : l'officine politique des Français « progressistes »
    de

    la France-Afrique</personname> d'alors. En revanche, je sais que ses nouvelles activités lui prenaient beaucoup de temps, et beaucoup d'énergie. D'ailleurs, juste après l'ADFE, il a pris sa carte au PS, et ça lui a pris encore plus de temps, notamment pour organiser des soirées...

    Je me souviens parfaitement de la fulgurance des veillés Malgaches, où tous ces adultes voulaient changer

    la France</personname>, à <metricconverter productid="12 000 kilom│tres" w:st="on">12 000 kilomètres</metricconverter> de la métropole. Je me remémore notamment une ou deux femmes très belles qui n'étaient pas les plus bégueules pour hurler contre la droite réactionnaire de Giscard. Parmi ses femmes, il y avait Y. Elle était Corse, parente de la résistante Danièle Casanova : une femme très belle et très enflammée... je ne lui dois pas mon éveil à la politique mais je sais qu'elle a attisé chez le petit moutard d'alors d'autres types de sentiments.

    Le 8 mai 1981, ça c'est un souvenir politique, un vrai ! Ce jour-là, en sortant de l'école Ampandrianoby, je me suis découvert Mitterrandiste. Bon, je n'avais pas trop le choix. À Madagascar, tout le monde est devenu Mitterrandiste du jour au lendemain. Dans ma famille surtout... De maman à mon frère Cédric en passant par le chat, il fallait l'être. Un soir, on n'avait même reçu à la visite du fils du Président, un certain Papa-m'a-dit, qui s'appelait en fait Jean-Christophe. Papa (le mien) m'a expliqué qu'il fallait que je ferme ma gueule et que je renonce à l'appeler Papa-m'a-dit. Pour une fois et sous la menace d'un martinet bien réel, j'ai écouté papa et j'ai renoncé.... Je n'en ai pas trouvé le dénommé Jean-Christophe plus sympathique pour autant.

    Il aimait paraît-il le tennis et les filles... moi, j'ai jamais été particulièrement
    doué au tennis... Quant aux filles, à mon âge, je les trouvais un peu bébêtes. Mais lui, il aimait ça, il débarquait de l'avion, se faisait recevoir par
    l'ambassadeur. Il donnait quelques directives du pater familias et puis, pris
    d'une profonde inspiration il demandait : vous pourriez me conseiller un
    petit endroit sympa pour ce soir... Il y a des filles, là-bas ? Parfait.
    Vous pouvez me réservez un cour de tennis pour demain après-midi ? En
    terre battue ? Bien parfait.

    Bref, hormis la visite de ce facheux, l'année 1981 s'est déroulée dans une atmosphère de Mitterrandie fiévreuse. Mais c'est chez papa que la fièvre a été la plus radicale. Quelques mois après mai, il a été élu Sénateur suppléant des Français de l'Etranger.

    Un jour, j'ai demandé à papa quand il serait Sénateur tout court ? Il m'a
    expliqué que le suppléant n'était Sénateur qu'en cas de décès ou de démission. J'en ai conclu que c'était un truc tout pourrit d'être suppléant.



    A suivre</em />

    </em /></em /></em />

    Photo : JY - Montage : Le Coati - Photos des animaux incrustés : Mitsuaki IWAGO, sauf licorne des mers : Le Coati


    24 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique