• L'éveil en politique (auto science-fiction)




    Je n'ai pas eu une enfance comme les autres. En général, on commence par ça, avant de se rendre compte que des millions d'enfants n'ont pas eu une enfance comme les autres. Bon mais voilà, je n'ai vraiment pas eu une enfance comme les autres. Au commencement était un petit bonhomme qui, au dire de ses parents, n'était pas ce qu'on appelle un passionné de politique. Mon véritable éveil à la complexité du monde se fit plutôt par le biais des animaux.

    À deux ans, selon ma très belle maman, je connaissais par cœur le nom de tous les bestiaux qui figuraient dans les 21 volumes de « la vie privée des
    animaux » rédigés sous la plume experte de Maryse et Pierre Delagrange. Ophicéphales, échidnés, ornithorynques, oryctéropes, tétraodons et cœlacanthes représentait dans mon esprit des figures tutélaires, familières et amicales... leurs mœurs et celles de très nombreux autres que je ne mentionnerais pas ici (faute de place) n'avaient aucun secret pour moi.

    Précocement zoophile, je faisais le bonheur de mon papa et de ma maman, ravis d'exhiber à leurs amis l'étendu du savoir du singe savant.

    J'avais trois ans, une première maîtresse de maternelle fit un jour les frais de cette pensée immémoriale, cette quasi-réminiscence darwinienne.

    Elle voulait nous de faire prendre, photo à l'appui, des vessies pour des lanternes et un chien de prairie pour un suricate. Un vulgaire rongeur pour une svelte mangouste (certes de petite taille), mais viverridés quand même et au sens noble du terme. Je contestais son assertion : « non, m'dame, c'est un suricate ».

    L'instit passa outre : « oui, Cyrille, un chien de prairie ! ».

    Et puis le lendemain, devant la classe éberluée, elle fit machine arrière :
    « Hier, ce que je vous ai montré était bien un suricate, votre camarade
    avait raison ».

    Le pire, c'est que déjà, je jubilais intérieurement. Vaniteux comme pas deux,
    véritable chieur né, persuadé qu'en moi marinait à feu doux la science infuse... Bientôt, le potage serait prêt et je pourrais montrer au monde tout l'étendu de mon savoir. Mais ensuite c'est une autre paire de manches... toujours revient le boomerang en forme d'uppercut sapiens sapiens... On lit Socrate (traduit par Platon) par exemple et on découvre qu'il ne savait qu'une seule chose...

    Pour l'heure, j'en étais encore au stade expérimental. À quatre ans, une nouvelle passion tout aussi subite et désordonnée que la précédente me submergea corps et âme : la pêche... En rivière, mer, et même dans le marigot de Scheffersheim, (un charmant bourg du Bas-Rhin), la pêche (inclination qui m'enthousiasme encore de nos jours) ne m'appris ni la patience ni le sens des responsabilités.

    Au contraire, elle libérait en moi des instincts primitifs. Une sorte de
    convulsion juvénile et précoce me prenait à chaque fois qu'un malheureux se présentait au bout de la ligne. Lilliputien, (fort nombreux) ou mastards (plus rares) n'avaient que peu de chance d'échapper à ma mansuétude d'apprenti viandard. Disons-le sans honte, je n'étais pas encore un adepte du no-kill. À cette époque dans mon esprit précocement cartésien il n'y avait que deux sorte de poissons : les mauvais poissons qui se décrochaient ou cassaient mon fil. Et les bons poissons que je finissais pas catcher... Mais tout le monde sait qu'un bon poisson est un poisson mort.

    À cinq ans, mes parents tous deux professeurs, choisirent la voie de l'exil,
    là-bas au-delà des Océans. Nous atterrîmes à Madagascar au service de la très grande, la très noble, la très efficace coopération française.

    Aujourd'hui encore, les souvenirs de notre arrivée à Tananarive, (la capitale) sont vagues. Il est possible pourtant que ma venue dans l'Île rouge ait été remarquée par quelques autochtones. Il semble en effet, que pendant les deux mois qui précédèrent notre départ, mon père tenta de me convertir aux devoirs de tout nouveau migrant : « Cyrille, là-bas c'est un drôle de pays, les gens sont différents... ils sont plutôt plus noirs qu'ici. Ils sont même très noirs. Alors pas de remarques. Si tu as quelques choses à dire, tu tournes sept fois ta langue dans ta bouche ».Conseils que je m'empressais de suivre. Nous étions arrivé à l'aéroport d'IVATO, depuis moins d'une demi-heure. La chef de labo de mon père, Madame Rakotovo, une brave femme avec de grosses lunettes, était venue nous chercher avec sa vieille R12.

    Le trajet reliant l'aéroport à la capitale prenait environ trente minutes. Nous
    roulions lentement. Il faisait chaud. Mon frère (encore un nourrisson) pleurait. Autour de nous, dans les rizières, des enfants aux dents très
    blanches jouaient à s'asperger d'eau. À côté des enfants, il y avait des
    cochons qui, eux aussi se rafraîchissaient. Tout noirs qu'ils étaient les cochons. Si j'avais eu loisir de passer auparavant par

    la Corse</personname>, ça ne m'aurait pas étonné de voir de cochons noirs. Mais là... le zoologue en herbe que j'étais, se trouvait bien un peu étonné par ce mystère de la pigmentation du suidé malgache... Sauf que ledit zoologue se souvenait des paroles de son père, pas de remarques. Alors il gardait ses étonnements pour lui.

    C'est Madame Rakotovo qui a rompu la glace : alors Cyrille, ça te plaît ici...
    c'est pas comme chez toi, hein ?

    Pas de réponse... bouche cousue que j'étais, fermeture-éclair, eh pas folle la
    guêpe ! Mon père a insisté : Cyrille, Madame Rakotovo te pose une question : est-ce que ici, c'est pareil qu'à Strasbourg ?

    N'y tenant plus j'ai dit : Non c'est pas pareil. T'as raison papa, ici c'est un drôle de pays, pas comme chez nous... ici, même les cochons sont noirs !

    Madame Rakotovo a souri. Bien sûr, elle ne m'en a pas voulu. Moi je ne retiens qu'une seule chose de cette histoire : si mon père ne m'avait pas bassiné (bien innocemment tout de même) sur la teinte des natifs, jamais je n'aurais trouvé que la couleur noire de l'homme était une caractéristique aussi extraordinaire que cette couleur impossible pour les cochons qui comme chacun le sait sont toujours rose bonbon et adeptes des maison en paille, en bois ou en brique.

    Les sept ans pleins (en fait plus du double mais dans d'autres pays d'Afrique) qui ont ponctué ma vie à Madagascar sont parmi les plus heureux de ma vie. Normal, ils correspondent à l'enfance. Et une enfance quand elle est heureuse, c'est toujours le meilleur moment. Je pouvais pêcher des Tilapias dans les rizières, à moins de deux minutes de la maison. Je pouvais observer les animaux, (caméléons, serpents, tortues, oiseaux, libellules, araignées) qui peuplaient notre jardin de quelques hectares. Je pouvais jouer avec mon frère à rendre chèvre le gardien Ratolojanary. Je pouvais courir, me baigner, partir au bord de la mer 4 à 5 fois par ans. Bref, la vie de château.

    Oui, une enfance quand elle est heureuse, c'est formidable. Le problème, c'est quand on compare son propre bonheur à ceux des autres. Ce jour-là, on constate des différences de traitements. Madagascar, côté différences de traitements, c'est un pays avancé. Je ne nie pas qu'il y ait pas là-bas des enfants heureux. Il y a des enfants heureux au quatre coin de la planète. En revanche, ce que j'ai remarqué étant jeune, (aiguillonné par mes parents, ça va s'en dire), c'est qu'il y a quand même des gamins qui partent avec de sérieux handicap dans l'existence :

    Tiens, je me souviens de celui-là, près du centre culturel Albert camus. Au feu rouge, il s'est agrippé à notre voiture pour demander quelques francs malgaches. Un adulte est sorti de nulle part et l'a sérieusement bastonné. Son crime ? Avoir osé mendié de l'argent à des Vaza (n.d.l.a : les Blancs).

    Je me souviens également de tous ces autres, dans l'hôpital de Tuléar où je me rétablissais d'une amibiase intestinale : la morve au nez, les yeux cernés, les ventres gonflés par la malnutrition, ils n'en menaient pas large.
    Je ne parlent même pas des mendiants des faubourg de Tana, dont les membres ressemblaient à des sculptures des frères Di Roza ; parce qu'en ce moment, j'ai toujours à l'esprit l'image de ce vieillard, les jambes bouffées par la polio, les bras atrophiés, à quatre pattes, en train de ramasser des grains de riz avec sa bouche. Lui aussi, je me suis demandé s'il avait eu une enfance heureuse.

    L'éveil à la politique, pourrait résulter de ses images. Mais non, ces images sont postérieures, elle viennent avec l'âge, quand on les accumulent avec la patience maniaque d'un archiviste de la misère.

    L'éveil à la politique, je le dois un peu à mon père et à son propre engagement politique. Je ne sais plus pourquoi, il a intégré l'Association Des Français de l'Étranger : l'officine politique des Français « progressistes »
    de

    la France-Afrique</personname> d'alors. En revanche, je sais que ses nouvelles activités lui prenaient beaucoup de temps, et beaucoup d'énergie. D'ailleurs, juste après l'ADFE, il a pris sa carte au PS, et ça lui a pris encore plus de temps, notamment pour organiser des soirées...

    Je me souviens parfaitement de la fulgurance des veillés Malgaches, où tous ces adultes voulaient changer

    la France</personname>, à <metricconverter productid="12 000 kilom│tres" w:st="on">12 000 kilomètres</metricconverter> de la métropole. Je me remémore notamment une ou deux femmes très belles qui n'étaient pas les plus bégueules pour hurler contre la droite réactionnaire de Giscard. Parmi ses femmes, il y avait Y. Elle était Corse, parente de la résistante Danièle Casanova : une femme très belle et très enflammée... je ne lui dois pas mon éveil à la politique mais je sais qu'elle a attisé chez le petit moutard d'alors d'autres types de sentiments.

    Le 8 mai 1981, ça c'est un souvenir politique, un vrai ! Ce jour-là, en sortant de l'école Ampandrianoby, je me suis découvert Mitterrandiste. Bon, je n'avais pas trop le choix. À Madagascar, tout le monde est devenu Mitterrandiste du jour au lendemain. Dans ma famille surtout... De maman à mon frère Cédric en passant par le chat, il fallait l'être. Un soir, on n'avait même reçu à la visite du fils du Président, un certain Papa-m'a-dit, qui s'appelait en fait Jean-Christophe. Papa (le mien) m'a expliqué qu'il fallait que je ferme ma gueule et que je renonce à l'appeler Papa-m'a-dit. Pour une fois et sous la menace d'un martinet bien réel, j'ai écouté papa et j'ai renoncé.... Je n'en ai pas trouvé le dénommé Jean-Christophe plus sympathique pour autant.

    Il aimait paraît-il le tennis et les filles... moi, j'ai jamais été particulièrement
    doué au tennis... Quant aux filles, à mon âge, je les trouvais un peu bébêtes. Mais lui, il aimait ça, il débarquait de l'avion, se faisait recevoir par
    l'ambassadeur. Il donnait quelques directives du pater familias et puis, pris
    d'une profonde inspiration il demandait : vous pourriez me conseiller un
    petit endroit sympa pour ce soir... Il y a des filles, là-bas ? Parfait.
    Vous pouvez me réservez un cour de tennis pour demain après-midi ? En
    terre battue ? Bien parfait.

    Bref, hormis la visite de ce facheux, l'année 1981 s'est déroulée dans une atmosphère de Mitterrandie fiévreuse. Mais c'est chez papa que la fièvre a été la plus radicale. Quelques mois après mai, il a été élu Sénateur suppléant des Français de l'Etranger.

    Un jour, j'ai demandé à papa quand il serait Sénateur tout court ? Il m'a
    expliqué que le suppléant n'était Sénateur qu'en cas de décès ou de démission. J'en ai conclu que c'était un truc tout pourrit d'être suppléant.



    A suivre</em />

    </em /></em /></em />

    Photo : JY - Montage : Le Coati - Photos des animaux incrustés : Mitsuaki IWAGO, sauf licorne des mers : Le Coati


  • Commentaires

    1
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:12
    Bon alors
    c'est une histoire d'éveil...
    2
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:14
    ça parle aussi
    d'animaux bizarres
    3
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:15
    Et de
    Madagascar... Voilà le résumé pour ceux qui ne lisent jamais
    4
    f'm
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:31
    il y a aussi
    ceux qui lisent et à qui ils manquent des mots
    5
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:44
    Quel genre
    de mots te manquent-ils Frimousse ?
    6
    f'm
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 13:51
    trop
    de mots me manquent, inlassablement je le parcoure le chemin des mots, je noircis sans cesse rature, réitère. rien n'y fait alors je garde au fond des yeux les formes et les couleurs qui parlent à mon coeur
    7
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:13
    Jolie histoire
    Le 11 mai 1981 je me souviens avoir été opérée de l'appendicite... A mon réveil en salle d'op j'ai dit [j'avais 14 ans et n'avais pas eu les résultats des élections vu que je me tordais de douleur depuis la veille au soir en vomissant...] aux infirmières ''qui c'est le président ?''. Elles ont éclaté de rire... A tout à l'heure Cyrille bisous ! Bonjour Miss F'M !
    8
    f'm
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:19
    bisous Marie
    suis passée tout à l'heure mais je peux pas commenter sur ta page I'm pas certifée rires, bisous doux
    9
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:21
    Oui Miss Emotion
    à tout à l'heure...
    10
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:23
    Oui Miss Emotion
    à tout à l'heure...
    11
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:26
    Dommage F'M
    Mais pourquoi tu ne te loggues pas ?? Tu sais je suis la reine des Paranos alors j'en avais marre des commentaires de ptits cons ;-). Eh ben Cyrille, tu en bégaye d'émotions ? Rires !!
    12
    f'm
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:27
    Marie
    parce que loguée je ne peux plus commenter et je ne sais pas pouquoi, voilà
    13
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:28
    F'M
    C'est quoi ce merdier ? Arff dommage...
    14
    f'm
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:29
    Marie
    j'ai envoyé un mail à Laurent et Thomas mais pas de réponse alors je commente sans log'
    15
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:34
    Simple
    Frimousse, il faut que tu joignes Laurent (Djabatav) ou que tu ailles sur blog café pour lui parler de ton pb. Il le résout généralement assez vite...
    16
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:36
    Chach tu ne sais pas lire...
    la madame te dit qu'elle l'a fait !! Rires. Bon ben en espérant que ça s'arrange !
    17
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:36
    Un nouveau
    message je veux dire... Demain, ce sera mieux
    18
    decker
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 14:50
    A suivre...
    Ca frise le plagiat...
    19
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 15:03
    Oui
    enfin... Tu sais des à suivre, ça fait des mois que j'en mets et puis en général, je ne poste pas la suite...
    20
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 15:06
    Dommage alors
    moi j'aime bien les histoires à suivre. Tiens Mister Decker, zavez un message interne au fait...
    21
    Dimanche 23 Octobre 2005 à 15:14
    Oui
    mais je mettrais quand même la suite jusqu'au moment du véritable éveil : les grève de 1986. Précision : tout ici est romancé mais globalement exact... Les passage sur "le fils de" proviennent des on-dit de l'époque...
    22
    Lundi 24 Octobre 2005 à 14:08
    Salut Chach
    toi aussi tu fais des posts longs et chiants donc. La concurrence devient rude sur ce créneau!
    23
    Lundi 24 Octobre 2005 à 15:37
    éveil
    Eveil précoce ! Une enfance heureuse qui vont de paire avec des souvenirs agréables avec des parents qu'on sent bien présent... Personnellement j'ai lu avec attention et ces avec plaisir que je découvrirai la suite de ton "éveil en politique" 1981,souvenir indestructible pour moi oui comme beaucoup je deviens Mitterrandiste avec des espoirs fou et surtout la naissance de mon 2ième fils. A la suite .
    24
    Mardi 25 Octobre 2005 à 01:40
    Y'a parfois des jours,..
    Comme ce soir, où je me dis que tu devrais faire un recueil de tout ce que tu écris. Que je puisse lire tranquillement ce que j'aime lire! Bises
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :