• L'anniversaire de la Bête - une nouvelle nouvelle


    PROLOGUE



    Ce dimanche soir, anniversaire de la cent vingt millième année de son règne, la bête immonde regardait la terre de sa fenêtre. Elle avait l'humeur maussade. Une question lui escagassait l'épiderme : ces pauvres cervelles allaient-elles enfin lui trouver matière à dérider ou faudrait-il comme à l'accoutumée et ceci depuis les temps immémoriaux qu'Elle se tape tout le travail en solo ?

    Désespérante valetaille... le problème n'était pas simple à résoudre.

    A cette heure, à une semaine de la date fatidique, en fanfares et grands fastes, Elle avait convoqué cinq cent soixante-dix huit estafettes, huit cent trente-deux tambours, trois mille six cent soixante-six étendards, neuf mille sept cent quarante-sept marmitons et douze mille quatre cent cinquante-neuf conseillers dans la grande salle de l'Antre de huit cent vingt-deux pieds de hauteur et deux cent vingt-trois kilomètres de longueur. Pour l'éclairage, la bête avait ordonné qu'on fit brûler quelque treize cent cinquante-cinq brasiers de vierges possédées, pour le repas qu'on rôtisse un quarteron de suppliciés faisandés, qu'on fasse mijoter bon lot de dix ou vingt chaudrons d'assassins et qu'on enfourne après marinade bonne part de voleurs, mendiants et autres gueux de carne trop ferme ; enfin pour le dessert, arrosé de trente deux mille cent vingt et une bouteilles composées des cent trois poisons des plus suaves, Elle avait fait servir sur un coulis de caramel dix-huit mille trois cent vingt et un nourrissons tendres morts non baptisés entre le premier jour et la 23e semaine aussi appétissant qu'un pot de crème caillée.
    Alors, dans un effet de soufre, fumigène ingénieux, feux de Bengale carmin ou violet, Elle s'était tournée vers ses convives émerveillés, et sur un ton docte quoique résigné, Elle s'était fendue d'une longue tirade sur l'usure du pouvoir et son corollaire inhérent, mal affreux, sournois, d'une bête insomniaque, parfois montrée du doigt, souvent stigmatisé, chuchoté tant la crainte était grande qu'il ne s'abatte sur vous, la maladie d'un règne immuable, la rançon d'un pouvoir sans partage : l'odieux, le terrible, l'inguérissable ennui.

    Mais que pouvait-on faire contre cette perversion des temps moderne ?
    La Bête ne voyait qu'une seule et désagréable solution. Il lui fallait se retirer des affaires, partir à la découverte du monde, passer la main à quelque jeune fol inconscient que la réalité du pouvoir n'effrayait guère. Aussitôt Elle demanda que les batteries raisonnent jusqu'aux confins des enfers, et avec toute la solennité requise par l'instant elle promis de désigner son successeur sous huitaine. Mais avant...

    La Bête immonde prit sa voix la plus suave et tandis qu'une myriade de 999 danseuses de flamenco aux seins plus pointus qu'un dard de guêpe entamaient un sabbat flamboyant accompagnées par les mariacas de 333 sombreros jaunes, Elle réclama aux invités qu'ils se fendent d'un cadeau d'adieu, (façon de parler bien sûr... au diable les cadeaux d'adieu !).Le cadeau d'adieu avait-Elle expliqué dans un patois ricané se devait de faire preuve de forte originalité. Il y eut alors un grand brouhaha dans la salle, chacun s'enquérissant auprès de son voisin d'un conseil, idée, trouvaille qui satisferait la bête. “Bla, bla, bla... guerre civile ? Djiad ? Épuration ethnique ? Meuh non, trop classique !”... bla, bla, bla... épidémie ? SIDA ? Choléra ? Ébola ? Non, non, non, trop passé de mode ! Bla, bla, bla, Big bogue ? Virus ? I love You ? Non, non trop informaticien... bla, bla, Twins Sister... avion-courrier.... anthrax, variole... Enfin funérailles quoi, trop gentil !

    Alors la bête avait hurlé aux convives de se taire. Elle avait parlé d'une voix sévère. Elle leur avait fait miroiter les pires tortures s'ils ne lui trouvaient pas quelque chose d'assez exceptionnel. Elle voulait spectacle extraordinaire qu'on eut jamais connu ailleurs -au royaume des cieux notamment - Elle voulait une apothéose dont on se souviendrait jusqu'à la fin des temps. Alors seulement les convives prirent conscience du caractère diabolique de la requête. Pléonasme mis à part, la bête était toujours aussi fourbe et cruelle. Elle les avait possédés du début à la fin. Et cette histoire d'abdication quel coup de maître. Les convives s'étaient regardés. Ils portaient dans leurs yeux l'air lancinant des grandes détresses car ils savaient que depuis cent vingt mille ans, ils avaient à peu prés épuisé toutes les facéties possibles et inimaginables. Puis ils s'étaient levés de table, et rapidement sans prendre le temps de prendre un digestif, ils avaient filé dans les confins des mondes de bonne inspiration. Ils ne leur restaient plus que sept jours pour trouver une idée. Sept jours !

    Seul dans un coin du banquet, lieu déserté bien avant la fin du discours de la bête tant il ressemblait à une auge de cochon, un diablotin effacé continuait de s'arsouiller. C'était un petit nouveau, trapu, de corps disgracieux ; il portait épaisses moustaches noires et vêtements bon marché. Il songeait à l'offre de la bête. Elle était alléchante. Le diablotin était arrivé aux Enfers moins de cinquante ans auparavant. Il s'appelait Joss Elfchtaline et même s'il n'était pas encore dans les confidences des puissants ici-haut, il avait pour lui d'avoir déjà goûté au pouvoir, en bas là-bas, vous savez ? Bref, la perspective de recommencer l'amusait. Et puis, il avait une idée très précise de cadeau. Un original et merveilleux présent qui conviendrait parfaitement à une fin de règne. Mieux, un cadeau qui ferait hurler le diable de joie. À cette évocation, il porta un toast secret aux derniers jours de la bête, puis, il but son verre d'arsenic et se perdit dans les ténèbres.
    Ce dimanche soir, on l'a dit, la bête était maussade. Elle était seule dans son antre à ruminer les échec, le temps qui passe sans qu'on puisse l'arrêter, les petites joies et les grandes peine. Elle se torturait la conscience, se demandait ce que l'Autre pouvait bien faire en ce moment. Était-il en train de détourner de sa route meurtrière quelque cyclone de l'océan indien ? Se démenait-il pour empêcher la victoire totale des océans sur une île du Pacifique ? Voulait-il sauver du tranchant d'une lame une mère anéantie et son fils apeuré dans la Pashtounie joyeuse ? Ou bien se préparait-il à soutenir le Bon George DoobleYou No pour entamer une reconquête du territoire mésopotamien contre l'odieuse “diablerie” Al-quiétiste ?

    À la perspective de tous ces vains sauvetages, minableries de démiurge gâteux qui se soldaient une fois sur deux par une victoire à la Pyrrhus, la bête immonde ne put s'empêcher d'éclater d'un rire sardonique qui raisonna jusqu'au Purgatoire. Pour autant, les déconvenues de son Auguste cousin ne parvenaient pas totalement à la réjouir. La vérité, la bête ne voulait pas se l'avouer... la vérité, c'est qu'elle avait un foutu spleen.

    Photo : masque de diable du nicaragua

  • Commentaires

    1
    pascaline
    Mercredi 6 Juillet 2005 à 06:28
    ah toi...
    tu sais jouer avec les mots, merci pour cette lecture, encore une suite que j'attendrai impatiemment ! A quand une histoire dont je serai l'héroïne ? Ca serait carrément génial, mais je peux toujours réver...papouilles
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