• Tu te souviens Hich, dans le film "When we were kings" de Terry Gast, quand Mohamed Ali apostrophe George Foreman peu avant le combat du siècle à Kinshasa, dans ce qui était encore le Zaïre de Mobotu ?

    C'est une scène qui restera un must dans l'anthologie de la boxe. Une métaphore quasi transparente de la guerre psychologique que se livre l'humanité depuis l'aube des temps.

    "Je vais danser, je vais danser autour de toi comme un papillon. Tu n'arriveras même pas à me toucher... Je vais danser... je vais danser et je sortirais mon dard et je te piquerais comme une abeille"...

    De fait, Foreman sera battu. Mais moins à cause de la puissance physique d'Ali que parce qu'il est un remarquable tribun. Un troubadour complet qui a compris bien avant certain démagogues contemporains tout le pouvoir de la parole. Ali ne fait pas simplement de la boxe, il fait de la politique. Il se présente comme l'incarnation d'un Black power planétaire et il engage d'une certaine façon le continent africain à danser avec lui.

    Les danseurs ont un pouvoir que les autres hommes n'ont pas. Cela tient à leur capacité de se jouer, si on peut dire, des lois de la pesanteur. Le danseur, il fait vivre un univers parallèle qui n'est plus tout à fait la terre ferme. Le danseur et ses succédanés, jongleurs, acrobates, cracheurs de feu, sont parvenus à faire de leur corps, des bras, des mains, des jambes un instrument d'expression à part entière.

    Ce faisant, le danseur exerce un acte de séduction et de sédition.

    Si les hommes politiques dansaient plus souvent, il parait évident qu'ils auraient moins de mal à convaincre leurs ouailles de la justesse de leur vue, de la pertinence de leur propos et même de leur bonne foi.

    - Demandes donc à Sarko, Ségo and co de danser. Tu seras pas surpris de voir combien ils sont mauvais, combien leur corps les gêne et combien ce faisant, ils ne peuvent pas bien comprendre le monde qui les entoure.

    - Et alors qu'est-ce que tu proposes ? (Hich' parlerait jamais comme ça mais pour les besoins narratifs, je lui ait introduit une petite réplique de mon invention)

    - Qu'on les envoient en stage Samba-Tango en Argentine ou au Brésil. Et qu'on nous les y garde un peu au chaud... Le temps que l'on apprenne à danser sans eux....

    Photo (danseur devant l'esplanade de la Gare de Perrache): Le Coati

    18 commentaires




  • Quand j'évoquais hier sur un tout autre sujet, la formule latine : "Nemo ad alium transfere potest quam ipse habet", je reprenais en fait, une vieille antienne des juristes royaux du 14e et 15e siècle.

    Le "Nemo..." en question se traduirait ainsi :

    Nul ne peut transmettre à autrui plus de droit qu'il n'en a lui même.

    <o:p> </o:p>

    La formule assez générique et appliquée à l'ensemble de la population pourrait paraître frappée au coin du bon sens. En réalité elle a d'abord été destinée aux femmes et plus précisément aux femmes de rang royal.

    <o:p> </o:p>

    Ces siècles tourmentés ont en effet été marqués à un moment ou un autre par l'absence d'héritier mâle direct. Philippe IV le Bel, bien inspiré avait eu trois beaux garçons. Primogéniture oblige, c'est le petit mâle aîné (et lui seul alors) qui doit grimper sur le trône : il s'appelle alors Louis X dit le Hutin (rien à voir avec un lutin ni avec un mutin encore moins avec un mâtin de Naples ou d'ailleurs, plus prosaïquement, cela doit signifier : le
    querelleur) et est surtout connu par les fan de Prévert (cf. Parole). Il règne deux ans à peine, et entre les incartades de Marguerite, sa première femme qui passe son temps à le cocufier, son remariage avec une charmante et insatiable Hongroise, prénommée Clémence et tout ces soucis propres à tous les rois, il a pas vraiment le temps de s'occuper de sa succession.

    De son premier mariage, il a bien une fille, Jeanne mais pas de descendant mâle. D'ores et déjà les juristes éliminent Jeanne du droit à la succession.

    Entre temps, Louis X casse sa pipe et son frangin Philippe V le Long (Eh eh va-t-en savoir pourquoi) intrigue pour grimper à son tour sur le trône. Problème, car entre-temps, la bonne Clémence de Hongrie est enceinte d'un petit Jean.

    <o:p> </o:p>

    Philippe intrigue suffisamment pour devenir régent et il se débrouille assez bien pour que le petit Jean (dit Jean Ier) ne lui fasse pas trop d'ombre. C'est chose faite cinq jours plus tard, le nourrisson royal, s'en va rejoindre le paradis des anges.

    Philippe V grimpe à son tour sur le trône dans le courant de l'année 1316, mais en type soucieux des apparences, il convoque l'année suivante une assemblée de légiste pour tordre une fois pour toute le cou à ces histoires de primogénitures mâles. Surtout, avec sa femme, <st1:personname w:st="on" productid="la Jeanne">la Jeanne</st1:personname> de Bourgogne, il n'a que des filles et il aimerait éventuellement transmettre son patrimoine à l'une d'entre elle.

    Mais, les légistes royaux ne l'entendent pas de cette oreille. L'année suivante, en 1317, ils confirment bel et bien les droits de Philippe au trône mais en usant d'une formule sibylline et à double tranchant : le royaume ne saurait tomber de lance en quenouille...

    <o:p> </o:p>

    Ce qui signifie ?

    <o:p> </o:p>

    La lance, tout le monde voit ce que c'est. C'est à l'époque l'attribut viril du mâle chevalier, prêt à en découdre contre godons et Sarazins. La quenouille, on sait généralement moins bien ce que cela signifie : c'est le petit bâton qui sur un métier à tisser sert aux fileuses pour enrouler les fibres textiles. Bref, un attribut féminin par excellence. La formule traduite signifie donc : l'héritage du trône ne peut être transmis aux femmes.

    Les filles de Philippe ne peuvent devenir Reine de France. De rage Philippe V se venge en persécutant les Juifs et les lépreux. Mais, en 1322 quand il se mange la couronne par la racine, s'est tout naturellement son frère Charles IV (surnommé comme son papa le Bel) qui grimpe sur le trône. Et puisque comme ses frangins ce roi maudit n'aura que des filles, le principe de la primogéniture mâle ne devient alors plus intangible dans le royaume de France même s'il demeure le principe.

    <o:p> </o:p>

    Ce qui fait qu'à sa mort en 1326, c'est le l'héritier mâle le plus proche en ligne directe, Philippe VI de Valois qui grimpe à son tour sur le trône. Adios les Capétiens directs !

    <o:p> </o:p>

    Bon l'histoire pourrait se terminer là, ce beau matin de l'an de grâce 1326 mais facétieuse, elle rebondit près de cent ans plus tard.

    <o:p> </o:p>

    Plus précisément en 1419, calamiti, calamitos sous le règne du dénommé Charles VI. Charles VI avait plutôt bien commencé son boulot une trentaine d'année plus tôt au point que la populace, bien disposée à son égard, le surnommait le Bien-Aimé. Mais, en 1419, les choses ont quelque peu changé. D'abord, les Anglais ravagent le pays, mangent nos femmes et violent nos moutons, ensuite, notre Bien-Aimé monarque a, en quelques années, connu quelques sautes d'humeur. Pour parler clairement, il est un peu guedin, genre même totalement psychotique, tendance maniaco-dépressif en stade avancé. A cela s'ajoute une obscure querelle de cépage entre Armagnacs et Bourguignons. Les premiers ne jurent que par leur sirupeuse appellation quand les second, plus tannique, sont persuadés de posséder le meilleur breuvage du monde. Bref, c'est la guerre civile en France.

    Comme si cela ne suffisait pas, y a toujours un fourbe Rosbif pour causer du tort aux grenouilles. Ce Ganelon, c'est Henry V, roi d'Angleterre qui trouve rien de mieux qu'à intriguer, et face à la faiblesse ne notre bon roi, à lui ravir sa fille, Catherine de France
    avec laquelle il convole en injuste noce avant de lui coller un moutard prénommé tout simplement Henry (ils ne sont pas plus originaux que les Français, les Anglais, pour trouver des prénoms).

    Non content d'occuper le royaume de France et de conspirer avec les Bourguignons, Henry V convoque une assemblée de juristes lèche-botte qui déchoient le fils du guedin et dauphin légitime (le futur Charles VII) de toute prétention au royaume de France et qui déterminent qu'Henry VI (en tant que petit-fils du Roi de France, Charles VI par sa mère et fils du roi d'Angleterre, Henry V) deviendra à la mort des deux rois, (ce qui arrive en 1422) l'unique King de France et d'Angleterre. Tollé dans les bonnes maisonnées de notre cher
    royaume où le régime alimentaire anglais n'est pas des plus apprécié.

    <o:p> </o:p>

    La suite est mieux connue. Allié aux Armagnacs, le petit roi de Bourges (Charles VII) reprend du poil de la bête. Une petite et vierge bergère de Domrémy en Lorraine vient un jour de printemps le retrouver à Bourges. La petitote sait trouver les mots et insuffler suffisamment d'entrain aux armées de France qui en quelques années boutent l'Anglais hors de nos frontières et font rentrer le Bourguignon dans le rang. Charles VII le Victorieux est enfin roi de France de plein droit. Mais, soucieux autant de légalité que d'apparence, il convoque une assemblée d'excellents juristes pour faire un sort définitif aux
    prétentions des buveurs de thé.

    Les juristes se penchent sur la question de succession et c'est à cet époque qu'ils trouvent la fameuse formule : nemo ad alium transfere potest quam ipse habet.

    Pour ôter à Henry VI toute envie de revenir en France, ils lui dénient les droits par où il a pêché : sa mère, Catherine de France. Certes, Henry VI, est petit-fils de Roi de France mais en vertu de la jurisprudence 1317 (lance et quenouille), les femmes n'ont aucun droit en termes de succession. Or, Catherine de France est une femme et, à ce titre, elle n'a
    aucun droit. Et si elle n'a aucun droit, elle ne peut transmettre à autrui (son fils Henry VI), plus de droit (aucun) qu'elle n'en a elle-même. Zoum Georgette, tu peux aller te rhabiller !

    <o:p> </o:p>

    Je ne peux décidément pas m'empêcher de penser que cette jurisprudence d'abord destinée aux femmes de sang royal a pesé ensuite sur le sort de leurs coreligionnaires de condition vulgaire. L'exemple vient d'en Haut. Et en haut, dès le XIVe siècle, les femmes étaient déjà quantité négligeable, en France. En Angleterre où des femmes ont très tôt régné, la reconnaissance des droits juridiques et politiques a ainsi été plus rapide qu'en France.

    Photo : Le Coati



    8 commentaires

  • Rien à ajouter de plus que ce qui est écrit ici. Un texte écris en 1999 (avant le départ de Clinton...). L'histoire d'un meurtre d'Etat déguisé... Je l'ai actualisé sans le trahir... C'est naïf parfois, juste à d'autres moments, bancal toujours... Les Etats-Unis ne sont pas loin s'en faut le seul Etat à pratiquer la peine de mort mais c'est le seul Etat qui se targue d'être une démocratie qui continue de l'appliquer...

    Ce texte est pour Agnese....

    Ultra-violence

    Aujourd'hui, dans ma tête, traîne une complainte triste, une phrase que j'aimerais répéter à mes enfants un jour,s'il me prend le désir d'en avoir : “pas content, je ne suis pas content de ce pays !”

    Et puis plus loin dans la mémoire s'imprègne ce faux poème, un inventaire à

    la Prévert</personname>, pour clore cette histoire, lancinante et grave :

    Un mioche de six piges. Un chapeau de cow-boy. Une bannière étoilée. Des baisers de maman. Un revolver de papa. Une high-school. Un bus jaune... déjà tout un pays. Contre-culture. Cu-culture... Warhol, Guerre et trou, Hamburger, sexe, drogue & coca-cola. Cour d'école. Des mômes qui s'amusent. Une mioche de six piges. Son pote. Bisbilles. Un revolver de papa qu'on sort des fontes. Un bras tendus. Un claquement sec. Une odeur de poudre. Une squaw qui s'écroule. Drame. Une môme dans une boîte en sapin. Un petit garçon chez les flics. Un psy qui l'examine. Ier Verdict. Trop jeune pour être jugé. Ouf, mon gars, ouf ! Chez les dingues, c'était pas
    assuré. Remue-méninge médiatique. Lobbies / contre Lobbies. N.R.A. Vieillards gâteux. Charlton Heston. Président Clinton, larme à l'œil. Garde à vous. Baïonnette aux canons.
    Leitmotiv.

    Déjà quelques ratons laveurs écœurés ont quitté l'assemblée.

    Aparté / je me répète, je ne suispas content de ce pays.

    Des images volés “on T.V.”. Une ville de chasseurs. Des viles viandards. Huntsville Texas. Une prison. Des hommes gris. Des mines sinistres. Un homme vert. En vérité, un grand black. Un visage fermé. Un sourire triste. Un vieux souvenir. Un vrai cauchemar : une femme violée. Une infirmière assassinée. Un amant. Un coupable. La police. Machine-gun. Les sirènes. Les
    matraques... Tout le tintouin. Odell Barnes, vous vous souvenez de ce nom ? Now, Tookie Williams... 25 ans après... Double peine. Je pleure deux fois plus. A chaque fois la même affaire... Nouvelle boucherie. Jeux de maux faciles...

    Dix jurés blancs
    Dix ans de bons et loyaux services.

    Dix preuves escamotées.

    Dix minutes de délibéré.

    Dix Néo-cons

    Cinq ou six ratons laveurs.

    Verdict. Sans ambages. Death penalty. C'est ça, zou mon kiki !

    On te ratiboise le tout en minutes, Juste avant les actus... Mais ça coûte cher. De là viendra l'abolition : le coût...


    Un temps qui passe. Un couloir de la mort. Un État, n'oublions pas l'État du Texas. Un lot de 122 trépassés... en cinq ans s'il vous plaît ! Un Gouverneur de province. Un junior for Président.
    Et plusieurs “grâces, de grâce Mister Governor”. Des centaines de voix, des Françaises, des Belges et même des Vaticanaises. Rien n'y fait. Un monsieur Governor Georgy en campagne, candidat balaie...

    Apprenti Boucher !

    Une cour suprême du pays à la bannière étoilée. Une dernière requête. Un ultime : “Messieurs les bourreaux, mieux que la cigarette du condamné, rendez-lui la liberté, c'est un innocent
    vous savez !”

    Dernière sentence. Niet garette.
    Recours avorté. Assassinat légal !


    Injection létale.


    Violence pénale.

    Leitmotiv.


    Redondance.


    Pléonasme.


    Pornographie.


    Allez éteint la télé, les ratons laveurs se sont caltés.

    Aparté : ce pays quand on y pense, drôle d'endroit pour s'aimer ?

    Mais au final pas de crainte. Retour à l'ordre consacré. Né un 04 juillet. Un monde arnoldisé, bodybuildé, Wespointisé, Tempêtisé... Saddam en zonzon, Assad en ligne de mire. Grands
    enfants si violent, si content, si charmant. Une bible dans la main droite ; un gun dans la main gauche ; la morale sur le billet. Vert billet. L'OMC va gagner. Une jeune nation. Un “transgénique ta mère”. Une vieille Europe. Et toujours, toujours... Retour à Disney. Dollars et pépés. Odell a clamsé, idem pour Tookie. L'émoi est passé, les ratons laveurs sont couchés.

    Morale évidente.

    Faut pas aimer...
    Ah non faut pas aimer, maniaques, manichéens, déphasés, les gens de la bannière étoilée.

    Faut juste rêver, rêver, rêver... un monde de leur vermine débarrassée.


    Épitaphe : seuls les ratons laveurs méritent d'être sauvés... en attendant, je bois et c'est amer... Hic !


    Texte et photo : Le Coati


    12 commentaires

  • On a dit tant de chose sur Ivan le Terrible... Mais on a oublié qu'en cette église du Christ sauveur, il vint peut-être habillé en une délicieuse vamp, tel un transexuel moderne... Ivan avait la manie du travestissement. Ivan était un fol en Christ. Un homme qui en mimant la folie indiquait aux hommes le chemin qu'il ne fallait pas prendre. Si le fol en christ jettait des cailloux sur une église par exemple, ce n'était pas pour défier Dieu mais pour dénoncer les hypocrites, tous ceux qui se rendaient prier sans avoir l'âme vraiment propre.

    Cette église était celle qu'Ivan le Terrible préférait. Je n'ai pas une grande passion pour la chose religieuse mais je dois dire que cette orthodoxe création me chamboulle les sens...

    Photo : Le Coati

    3 commentaires

  • Il s'appelait Jean Romier,

    C'était mon grand-père maternel. Il est mort il y a plus de dix ans maintenant. Il était militaire... de carrière, on précise dans le jargon. Militaire depuis l'âge de seize ans. Un beau matin, il a fuit une mère tyrannique (à côté la Folcoche de Bazin, c'était de la rigolade) et il s'est engagé comme mousse sur un joli bateau en fer.

    Il est devenu Capitaine de Vaisseau. Et puis, la marine ayant été démantelée à la suite du sabordage anglais de Mers-El-Kébir, il a été incorporé dans des corps de commandos. Auparavant, il s'était évadé trois fois de stalag en Allemagne et en Poméranie. La troisième fut la bonne et il parvint alors à rejoindre les Forces Françaises libres en Algérie où ma grand-mère l'attendait déjà.

    Il a été un de ces héros anonymes de la seconde guerre mondiale. Un de ces types qui ont redonné un semblant d'honneur à une France engoncée dans l'attentisme ou le pétainisme. Lors de la prise de Bir Hakeim (il y était sous les ordres de Kœnig), ils ont tenu plusieurs jours sous une pluie de bombardements alors même que les trois-quarts de leur camarades trouvaient la mort dans la défense d'un oasis stratégique. En Cyrénaïque, lui et trois de ses hommes ont capturé 58 Bersagliers italien (certes, ceux-là voulaient se rendre). En Italie et même à Aix en Provence lors du débarquement du 15 août 1944, il a tué des hommes, des Italiens. A Frankfurt, il a tué de face un gamin de 15 ans, un Hitlerjungen qui braquait un vilain fusil-mitrailleur sur lui. Il a gardé dans un tiroir sa dague frappée de la croix gammée jusqu'à sa mort comme pour porter jusqu'à la fin de ses jours une croix de culpabilité.

    La guerre aussitôt terminée, il a été envoyé sur un autre théâtre d'opération dans la lointaine Cochinchine. A Saigon, il avait une maîtresse vietnamienne (une congaï)qui avec les alcools fort l'a sûrement aidé à tenir le coup, mieux que les longues tirades sur l'honneur, la patrie ou la grandeur de l'Empire colonial, etc. Lors du "coup" d'Haiphong, un bateau de transport de troupes français a sauté et il a sauvé deux légionnaires de la noyade. Il a été fait légionnaire d'honneur. Lors d'une permission en 1947, il est rentré en Algérie. Quelques mois plus tard une petite fille naissait : ma mère. Il est reparti au Vietnam et il n'a pas vu sa fille, sa femme et son fils pendant de longues années.

    Au Vietnam aussi, il a tué des hommes, le plus souvent de loin. Une fois au corps à corps. Il a aussi vu un de ses camarades de combat, mourir décapité à côté de lui, à la suite d'un tir de mortier... En Indochine, il avait déjà compris que la colonisation était une entreprise vouée à l'échec. Il a été fait prisonnier sur la route de Cao-Bang puis libéré à la suite des accords d'Evian en mars 1954... Quelques mois plus tard, on le renvoyait en Algérie... Il a décidé là-bas de ne plus recommencer les erreurs passées. Dès 1959, il s'est opposé à des officiers maximalistes et adeptes de la torture. Il a fraternisé en secret avec des types du FLN. Il a préservé autant que faire se peut la vie de ses hommes. Dans sa compagnie basée à Hussein Dey, puis dans les Aurès, seul cinq mecs ont été tués... Pendant l'insurrection de 61, il a été accusé par la majorité des officiers pro-Algérie française de fraternisation avec l'ennemi. Entre temps, une organisation paramilitaire française était née, anti-gaulliste, jusque-boutiste, adepte de la terreur : on l'appelait l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS). Des pontes de cette organisation avait placé mon grand-père sur une liste noire. En 61, un jeune sous-off harki sautait dans sa bagnole (en tout point identique à celle de l'aïeul) à sa place. Il a su survivre, en restant fidèle à De Gaulle, plus par pragmatisme que par adhésion à l'homme ou à ses idées. Ensuite, il est rentré en France avec armes et bagages, en 63 et on l'a démissionné ensuite de l'armée pour des raisons qui m'échappent encore...

    Il aimait les femmes, les chats, la photographie, la musique classique et la peinture.

    Il m'a donné deux trois conseils pour vivre ma vie comme un homme : d'abord l'idée qu'un mec, même militaire avait toujours le droit de refuser des ordres iniques. Ensuite, que ce n'était pas la même chose de tuer un type dans le feu de l'action que quand il était prisonnier. Dans un cas, ça s'appelait un acte de guerre. Dans le second, un assassinat. Un assassinat pour un militaire, c'est un acte qui se déroule en dehors du combat. Tuer un prisonnier ou un civil en dehors des combats, cela porte un nom que la majeure partie de la communauté internationnale reconnait : cela s'appelle un crime de guerre. Que quelques militaires français aient cru bon de s'abstraire du droit international en Côté d'Ivoire montre que ces hommes ne valent pas mieux que les tortionnaires américains d'Abou Graïb.

    Dans cette logique, mon grand-père s'est toujours élevé contre la torture. Il a très vite pensé que les peuples colonisés seraient un jour indépendants comme la France avait retrouvé sa souveraineté (aidé par les Russes, les Américains et les Anglais) contre l'Allemagne nazie. Il a toujours jugé qu'on devait respecter son ennemi et ne pas lui donner des surnoms insultants (Fellouze, Raton, Viet, Niakoués, etc). Après ces guerres, il a conservé des amitiés tant en Allemagne qu'en Algérie. Il a finit sa vie en pacifiste convaincu détestant autant ce qui se passait en Israël et en Palestine qu'en Irak ou en Afghanistan.

    Je ne sais pas s'il a eu raison ou tort au cours de son existence. Je me doute qu'à côté de ce parcours édifiant, il a dû faire des erreurs dans sa vie d'homme.

    Au moins n'a-t-il jamais eu le sentiment d'être un assassin. Et au moins m'a-t-il léguée un immense respect pour la vie humaine, fusse-t-elle celle d'un salaud

    Tout le monde ne peut pas en dire autant. Il y a sans doute une part de romance dans ce que je raconte qui se mêle à des souvenirs bien précis. Qu'importe, en son âme, il était bien comme je l'imagine ici.

    A propos, il semble que Lucien Romier, un de ses cousins ait été lui un proche du Maréchal Pétain... Il n'y a pas de bonne famille, il n'y a que des choix d'homme.

    Tableau de Pablo Picasso : Massacre en Corée


    9 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique