• Avril 2001. Le XXIe siècle a quatre mois. Iguazu, frontière entre l'Argentine, le Brésil et le Paraguay. Nous marchons en un sol instable, tous les sens aux aguets. Bob n'a pas d'arme mais j'ai une vieille carabine de chasse. La veille, une bande de braconniers venus du Paraguay a tué un garde-forestier. Il faut rester prudent. La pénombre va bientôt gagner sa partie contre les derniers reflets de l'astre. Boue, moustiques et sangsues sont notre lot... Tout à coup, nous arrêtons, stupéfaits par la force de l'élément. L'eau coule, de tout son soul. Bob n'a jamais eu de vraies envies suicidaires. Mais là, je le sens fasciné par le vide. Ce gouffre qui pourrait l'engloutir comme il s'est déjà perdu dans des centaines de cramouilles plus malhonnêtes les une que les autres. Bob hésite. Il se retourne vers moi. L'atmosphère est sourde de menaces. Ces chutes font un bruit du tonnerre, couvrant le bruit de la jungle. La jungle est toujours pareille à un opéra. Mais ce jour-là, face à l'eau, c'est comme si deux cantatrices se chamaillaient, en canon. Bob me regarde. Il ouvre la bouche à grand peine. "Je suis tenté" mumure-t-il "de faire le saut de l'ange. Cette violence naturelle raisonne en moi comme un coeur ami. Mais je n'en ferrais rien. Pas le bon jour, il ne fait pas assez beau."
    Nous rebroussons chemin. Dans notre dos, une bande de coatis s'est joint à nos pas. Ils aimeraient qu'on leur mâche le travail, qu'on leur jette quelques fruits. Nous n'en ferrons rien. Il n'est pas bon donner à manger aux bêtes sauvages.


    Ce jour-là Bob était avec moi, en moi... impossible de penser qu'il ne donne jamais de nouvelles.


    OTNI (Objet Textuel Non Identifié) et photo : Le Coati


    23 commentaires
  • Le dernier Ms Cartney est excellent. Jamais rien entendu de pareil (de sa part)  depuis longtemps.

    8 commentaires



  • Peaux de chèvres et crottes de biques
    Crocs de Chèvres.
    Bottes de criques...

    1OO kilos de peaux qu'on essore. Tamis, couleurs, water...
    Odeur tenace, menthe au naseau, parcours, la demeurre des tanneurs.
    Homme âpres qui malaxent... cuir, bains de couleurs, vapeur...
    Vêtements, pieds nus, galurins...
    Sang de chèvres, sang de brebis. N'oubliez pas le sang humain.
    Un doigt dans la mixture. Hum, je veux du cuir, car j'ai le cuir solide.
    Et la peau toujours la peau... A la chair comme à la chair...
    "Du grand Canyon au Yemen... Mais la peau est la même".

    Peaux de chèvres et crottes de biques
    Crocs de chèvres
    Bottes de criques.


    Photo : C. Le Déaut


    42 commentaires


  • Coeur de pierre. Putain de tour. Forteresse. Je déteste ne plus ressentir les émotions d'avant.
    Coeur en berne. Pas d'oriflamme. Eh quoi conquérir ? Pas de princesse dans cette tour, même pas une méchante, une mauvaise. Terry serait triste, pourrait pas en faire un film.
    Coeur de pierre. Putain de tour. En échec avec moi-même. Plus de reine. Roi infirme. Fou dans la diagonale noire. Que de pions, que de pions... et même plus de Morpions.
    Plus de peur, non plus... Eh de quoi avoir peur ? Plus de peur que de mal.
    Plus d'envie, plus de désirs... Eh pourtant la terre est ronde. Ah oui terre. Renouer avec la terre, galerie d'humains. Rompre avec l'alcool, l'extrême exubérance. Repartir en transhumance. Baton de berger. Gueuler encore contre les maux-sociétés : les machos de comptoir, les zomophobes sanglés, les Dey de naguère, les tremblements de terre, les autochtones rutilants, les écolos télescopant, les Zamerlocs dans leur baskets, les nécrophiles du 20 h, les pédophiles du dimanche... Tous ces cerveaux au garde à vous prêt à vous pondre des séminaires Mère-courage comme un oncle incarné s'offrirait son neveu en partage... En levrette même... Eh, cerise sur le gateux...
    Coeur de pierre, putain de tour... merde quand est-ce que tu tombes en ruine ?

    Photo : Le Coati


    39 commentaires



  • Batman n'est pas Batman. C'est un corniaud, un cleps, un bâtard.... Je l'ai rencontré au détour d'une rue en la bonne ville de Corrientès-Argentina... "Batman" j'ai immédiatement songé dans un éclair (de lucidité ?) quand j'ai reluqué ses deux drôles d'oreilles de chauve-souris. Il me regardait implorant avec des yeux d'une tristese incommensurable. Pas pu résister à ses yeux de chiens. Ses yeux si spécifiques de cabot hermétique aux cabotinage. Deux billes déroutantes rehaussées d'un un terrible accent de sincérité qu'on aurait cru humain. Je savais qu'en ce monde, les Hommes vivent encore plus mal que les chiens... Mais je n'ai pas résisté : j'avais un gros sandwitch. Je l'ai partagé en deux et j'ai donné une part au corniaud. Il a mâché lentement et puis alors que j'allais le laisser vacquer à ses occupations, un petit bonhomme, oh pas plus grand que trois pommes est venu se placer juste sur mon chemin, à côté du chien. Visage mangé par des tâches de rousseurs, en haillons, tout aussi triste que le chien. Il m'a juste dit : "c'est mon chien, il s'appelle Batman !"
    Malgré l'évidence, j'ai cru défaillir. Et le petit garçon me scrutait si intensément que je ne savais que faire. Je lui ai tendu la seconde moitié de mon sandwitch, puis sans un mot, je me suis éloigné de Batman et de son petit maître. Mais, je savais que dans mon dos, ils continuaient de me dévisager...

    Photo : Le Coati


    16 commentaires